Trois jours après l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine, le Sénat doit examiner, ce lundi 19 octobre, une proposition de loi constitutionnelle sur la laïcité. Un texte rédigé avant la mort de l'enseignant décapité pour avoir montré les caricatures de Mahomet, mais qui prend à présent une tournure singulière.
Portée par trois élus de droite de la majorité sénatoriale, cette proposition de loi vise à inscrire, dans la Constitution, la primauté des règles de la République.
Le premier article du texte consacrerait ainsi, à l’article 1er de la Constitution, le principe selon lequel «nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer de la règle commune».
Le second article obligerait quant à lui les partis politiques de respecter les principes de la laïcité, dans le but d’exclure les partis communautaristes des financements publics prévus pour les candidats aux élections.
«Si on veut avoir une approche pratique, il faut d’abord qu’elle soit constitutionnelle», expliquait avant l'attentat de Conflans Philippe Bas, l'ex-président Les Républicains (LR) de la commission des lois du Sénat, qui avec son collègue Bruno Retailleau, le chef de file du groupe LR au palais du Luxembourg, et Hervé Marseille, le président du groupe centriste, porte le texte.
«La règle commune, ajoute Philippe Bas, ce n’est pas seulement la loi, c’est le règlement intérieur du lycée ou de l’entreprise, ou encore celui de l’hôpital». Ce faisant, en inscrivant «un principe clair» dans la Constitution, le législateur donnerait aux maires, chefs d’entreprise, médecins, directeurs d’établissement scolaire – et d'une façon générale à tous ceux qui, à des degrés divers, sont des postes de décision - les «armes» nécessaires pour répondre aux revendications communautaristes au quotidien.
Des doléances telles des créneaux horaires spécifiques pour les femmes dans les piscines municipales, le refus de se faire examiner par un médecin homme, ou encore les repas halal à la cantine s'en trouveraient entravées. «C’est replacer en haut de l’échelle le principe de souveraineté nationale», résume Bruno Retailleau, de son côté.
Un parcours législatif pour le moins compliqué
Pourtant, si l’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle au Sénat, où la droite est restée majoritaire à l'issue des dernières élections, est quasiment assurée, la suite de son parcours législatif semble, elle, beaucoup plus compliquée.
Pour être adopté, le texte devrait en effet d’abord être voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale, or la Chambre basse du parlement est dominée, elle, par la majorité présidentielle.
Eric Ciotti après l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine : "Seul un référendum pourra balayer les lâchetés" https://t.co/g88kj5M3zW pic.twitter.com/aJtpYe3BWt
— Le JDD (@leJDD) October 18, 2020
Quand bien même cette étape serait passée avec succès, l’adoption définitive d’une proposition de loi constitutionnelle doit être enfin approuvée par référendum.
Un parcours jalonnée d'embuches s'achevant par voie référendaire, donc, mais qui donne, quoi qu'il en soit, une certaine caisse de résonnance à la proposition-choc du député LR des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, qui, hier, dans les colonnes du Journal du dimanche, plaidait justement pour un référendum pour une «laïcité exigeante», en souhaitant notamment s'attaquer au voile, grâce à une modification de la Constitution.
Jean-Michel Blanquer quelque peu perplexe
Interrogé hier sur France Inter sur cette initiative sénatoriale, le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, réputé ardent défenseur de la laïcité, n'a, pourtant, lui, pas caché une certaine perplexité.
«La laïcité est déjà très consacrée constitutionnellement ; elle est inscrite dans le préambule de 1946 et dans la loi de 1905 (de séparation des Eglises et de l'Etat, NDLR). Je ne suis pas sûr qu'il faille faire de la surenchère constitutionnelle. Je crains que ce soit redondant, mais ça se regarde», a ainsi averti le locataire de la rue de Grenelle.
L'initiative de la Chambre haute intervient enfin alors que gouvernement doit précisément présenter, le 9 décembre prochain, son très attendu projet de loi contre les séparatismes qui pourrait être rebaptisé «loi renforçant la laïcité».
Les principaux axes du projet avaient été dévoilés aux Mureaux (Yvelines), le 2 octobre dernier.