Mise entre parenthèses au lendemain du premier tour des élections municipales, la vie politique parisienne n'a pas attendu le déconfinement pour reprendre son cours. Mais alors que la tenue du second tour en juin se précise, la tension monte dans le match gauche-droite entre Anne Hidalgo et Rachida Dati.
L'accalmie du confinement n'aura duré que deux semaines. Dès la fin mars, la candidate LR, créditée de 22 % au premier tour derrière la maire sortante à 29 %, a remis ses troupes en ordre de bataille et a rouvert les hostilités contre sa rivale socialiste. Timidement tout d'abord, sur son terrain fétiche de la propreté, en demandant le nettoyage et surtout la désinfection des rues.
Puis, très vite, Rachida Dati et ses proches ont embrayé : tri «arbirtraire» des élèves autorisés à revenir à l'école, dette de la ville trop lourde, insécurité persistante et, surtout, manque de masques ainsi que de tests. Sur le fond, outre les reproches habituels de «manque de concertation» et de «politique guidée par l'idéologie», cette fois, les critiques ont fusé contre «l'inaction» de la maire de Paris.
L'impératif d'agir et de proposer des solutions
«Bien-sûr, les élus en place bénéficient d'une visibilité très forte, mais en contrepartie, cela donne aussi une visibilité très forte à leurs manquements. Comme le Président de la République et le gouvernement, Anne Hidalgo est en première ligne face au coronavirus, mais cette crise souligne leur incapacité à apporter les bonnes réponses», affirme à CNews Nelly Garnier, la directrice de campagne de Rachida Dati.
Alors pour les opposants, il faut agir et proposer des solutions. Grâce à un don privé, la fédération LR de Paris a pu commander et distribuer 4.000 masques en tissu pour les plus de 65 ans. Dans le 17e arrondissement, le maire LR Geoffroy Boulard a été le premier à mettre en place un drive pour les tests coronavirus à Paris. Et surtout, Rachida Dati est allée jusqu'à proposer son propre plan de sortie de crise à Jean Castex, le monsieur déconfinement du gouvernement, se plaçant ainsi au même niveau qu'Anne Hidalgo.
De quoi anticiper les critiques sur les motivations de la candidate LR, selon ses proches. «Rachida Dati ne fait pas campagne, elle est dans l'action et formule aussi des propositions. C'est ça l'opposition, c'est ça la démocratie qui n'est pas mise en quarantaine», argue Agnès Evren, présidente de la fédération LR de Paris et tête de liste dans le 15e arrondissement. «Ce n'est pas une posture politicienne que de fournir des masques aux gens quand on se rend compte que l'exécutif ne le fait pas», renchérit Nelly Garnier.
Mais comme le savoir-faire ne suffit pas, le «faire savoir» est également essentiel, passant pour l'ancienne ministre de la Justice par une omniprésence médiatique ces dernières semaines. Une manière aussi d'occuper l'espace politique de centre et de droite laissé libre par LREM, avec l'espoir de récupérer les votes de tous les déçus de la maire sortante. «Rachida Dati est redevenue le vote utile, elle incarne la seule opposition audible à Anne Hidalgo», souligne Agnès Evren.
Et pour cause, après ses terribles propos au lendemain de l'élection, qualifiant notamment l'organisation du premier tour de «mascarade», Agnès Buzyn a délaissé ses habits de candidate pour renfiler la blouse blanche de médecin. Résultat : si son entourage affirme qu'elle «reste en contact régulier avec ses équipes de campagne», le doute plane de plus en plus sur son maintien.
Aussi, face à l'urgence d'incarner le parti présidentiel dans l'élection parisienne, un nouveau nom a même commencé à circuler depuis quelques jours pour reprendre le flambeau de la liste LREM : celui de Stanislas Guérini, le délégué général du parti. L'hypothèse d'un retrait total d'Agnès Buzyn semble toutefois compliquée techniquement.
Car pour cela, il n'y a que deux possibilités d'après le code électoral. Soit le retrait pur et simple de la liste d'arrondissement sur laquelle elle figure, soit la fusion avec une autre liste (ayant obtenu plus de 5 % au premier tour) qui permet alors de modifier l'ordre des inscrits sur la liste du candidat en question.
UNe main tendue nécessaire mais improbable
Mais voilà, parmi les autres têtes de liste dans le 17e arrondissement, quatre autres candidats sont au-dessus de la barre des 5 % : le maire LR sortant Geoffrey Boulard (40 %), la socialiste Karen Taieb (16 %), l'écologiste Karina Pérez (9 %) et la villaniste Assia Meddah (5%).
Or, il n'y a aucun doute que ni LR, ni le PS ou EELV ne ferait la fleur d'une alliance à LREM. Quant aux discussions avec la représentante de Cédric Villani, elles seraient très compliquées. Il faudrait en effet que le mathématicien accepte de renouer avec la formation présidentielle après en avoir été exclu, et au moment où il participe à la création d'un groupe dissident à l'Assemblée.
Le retour d'Agnès Buzyn aux affaires parisiennes en cas de deuxième tour en juin paraît donc très probable. Une hypothèse qui risque toutefois de priver LREM de ses alliés de l'UDI-Modem. «Je suis très réservé sur la suite de notre engagement. Je ne suis pas sûr de vouloir recommencer ce chemin de croix», admet le patron des centristes parisiens, Eric Azière.
Surtout, pour celui qui mène la liste LREM dans le 14e arrondissement, «la lecture du premier tour ne fait pas de doute. Anne Hidalgo a retrouvé une légitimité et sauvé sa place. Le deuxième tour n'apportera pas de surprise, on ne jouerait que quelques sièges à la marge en conseil de Paris». Alors Eric Azière propose une solution radicale : «attribuer les sièges suivant les résultats du premier tour»,.
Un statut de favorite qu'Anne Hidalgo s'applique à bien gérer, en se concentrant sur son rôle de dame courage qu'elle a déjà endossé à plusieurs reprises lors de son mandat (attentats, Notre-Dame...), et laisse son équipe se charger des ripostes.
«La droite a décidé d'instrumentaliser cette crise pour en faire un argument électoral. Tout n'a pas été parfait, mais je mets au défi nos adversaires d’expliquer comment ils auraient mieux fait», a ainsi cinglé le bras droit de la maire, Emmanuel Grégoire, jeudi 14 mai. «Tous ceux qui ont adopté une posture politicienne pendant cette période seront sanctionnés. Ce n'est pas ce qu'on attend des responsables politiques, on attend des solutions», veut croire un autre proche de la socialiste.
Une maire active
D'où l'importance pour Anne Hidalgo d'apparaître dans l'action. Même si tout n'a pas été parfait, avec notamment le raté sur les masques pour seniors trop compliqués à attacher, ainsi que les retards à l'allumage de la distribution aux habitants des masques en tissu dans les pharmacies.
Mais la maire de Paris fait partie des premiers élus de France à avoir pris à bras le corps la question des masques et des tests (en particulier dans les Ephad et avec le dispositif Covisan en lien avec l'AP-HP), face aux difficultés de l'Etat. Et ces jours-ci, l'élue socialiste pèse de tout son poids pour convaincre le gouvernement de rouvrir les parcs et jardins de la capitale, malgré le classement en «zone rouge».
Une stratégie qui semble payante, puisque la popularité de la maire de Paris s'améliore au fil des baromètres politiques. D'après celui publié au mois de mai par l'institut IPSOS, Anne Hidalgo est désormais la 7e personnalité politique la plus populaire en France, avec 48 % de bonnes opinions (+ 2 points par rapport à avril). Rachida Dati, elle, recule en 14e position, avec 42 % de bonnes opinions (- 3 points).
Dans tous les cas, travailler sa posture ne pourra être que bénéfique, y compris pour les candidats malheureux, tant les élections sont nombreuses dans les mois à venir : municipales si elles venaient à être reportées en septembre ou mars, métropole du Grand Paris, sénatoriales, départementales et régionales. Même les présidentielles de 2022 ne paraissent plus si lointaines désormais.