Comme dans le reste de la France, le phénomène des violences dans les familles confinées préoccupe beaucoup les autorités en région parisienne. Les plaintes ont beau avoir diminué de moitié depuis mars, au-delà des chiffres, la situation des victimes dans le silence des logements clos pourrait en réalité être dramatique.
Ce sujet est d'ailleurs dans le radar de Didier Lallement, le préfet de police de Paris, qui a récemment dit toute sa «préoccupation» devant les élus lors du conseil de Paris du 28 avril, face à une situation dans les familles qui «s'est détériorée». Le responsable de la police dans la capitale et dans les trois départements de petite couronne a en effet noté depuis la mi-mars une «augmentation spectaculaire des appels et une baisse tout aussi spectaculaire des plaintes».
Les données communiquées par la préfecture de police de Paris évoquent une baisse de 45 % du nombre de plaintes pour violences conjugales dans l'agglomération parisienne depuis le début du confinement. Une tendance «uniforme dans les quatre départements, de - 50 % à Paris à - 40 % en Seine-Saint-Denis», souligne la PP.
«Le huis-clos familial joue à plein»
La période étant inédite, Didier Lallement a tenu à nuancer cette diminution spectaculaire : «je ne suis pas sûr qu'il y ait moins de violences mais il y a moins de dépôts de plaintes». Selon lui, il sera nécessaire de «recaler dans les prochaines semaines suivant le nombre de plaintes» afin de «vraiment connaître la réalité du phénomène».
On peut en effet imaginer facilement que cette baisse est liée aux conditions de vie des confinés. «Il est plus difficile en ce moment de se rendre au commissariat. Les gens se demandent s'ils peuvent sortir de chez eux ou comment pouvoir échapper à leur agresseur. Le huis-clos familial joue malheureusement à plein, il n'y a plus de moment d’échappatoire qui permettrait de donner l'alerte», confirme Colombe Brossel, l'adjointe à la maire de Paris chargée de la sécurité.
D'autant que les victimes qui osent se signaler «doivent aussi se préoccuper des suites judiciaires», souligne Françoise Brié, présidente de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF). Selon elle, «il y a souvent des confrontations avec l’agresseur, il faut pouvoir organiser des rendez-vous avec des avocats ou des associations...».
Mais si les personnes ayant subi des violences ont moins tendance à sortir de chez elles, le téléphone peut parfois faire figure de recours potentiel. Une idée confirmée par Françoise Brié : «le nombre d'appel reçus au 3919 [le numéro national pour les femmes victimes de violences géré par la FNSF] est deux fois plus élevé que d'habitude». Une tendance déjà constatée à l'échelle nationale par la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa.
Des interventions de la police en hausse
«Le nombre d’appels émis par l'entourage augmente, en particulier par le voisinage», note de son côté Colombe Brossel. L'adjointe parisienne rappelle en effet que «tout le monde est dans son appartement, donc il est plus difficile d'échapper au regard ou à l'ouïe du voisin».
A Paris, 15 femmes et 31 enfants ont déjà été mis à l'abri de leurs agresseurs dans des logements spécialement mis à disposition par des bailleurs sociaux, grâce à un travail en coopération entre la mairie et les associations.
Le confinement s'avère toutefois être une chance au moins sur un point : moins sollicités en raison de la baisse de la délinquance, les policiers ont pu davantage répondre à ces alertes. Le nombre d'interventions pour violences conjugales a ainsi augmenté «de 37 % en six semaines», selon la préfecture de police de Paris. Cette «hausse importante» des interventions concerne particulièrement le Val-de-Marne (+ 56 %), ainsi que dans une moindre mesure la Seine-Saint-Denis (+ 27 %). Dans la capitale, elle est de + 21%.
Mais ces opérations des forces de l'ordre restent insuffisantes pour régler un problème si profond, d'autant qu'elles ne débouchent pas toutes sur des constatations d'infractions. Les autorités s'attendent donc à une libération de la parole des victimes quand la vie commencera à reprendre son cours.
«Nous pressentons qu'à la fin du confinement, nous risquons d'être confrontés à une forte augmentation de ce sujet, avec des personnes qui n'auraient pas appelé à l'aide ou porté plainte avant», estime l'adjointe Colombe Brossel.
Surtout que le déconfinement s'annonce encore très progressif en région parisienne. «Nous allons maintenir notre vigilance après le 11 mai pour gérer les situations d'urgence, car on s'attend à des situations dramatiques. Les associations s'y préparent», rappelle Françoise Brié. La Fédération nationale solidarité femmes a d'ailleurs lancé un appel au don, pour renforcer leurs moyens en vue de ce moment critique.
Dans tous les cas, cette période de deux mois enfermés risque de laisser des traces à long terme, craint Françoise Brié : «cela va induire des traumatismes et des conséquences très importantes pour les victimes, les femmes comme les enfants. Sur le plan psychologique mais aussi social. Car nombre d'entre elles vont aussi perdre leur emploi ou une partie de leur revenu, et se retrouver en situation de dépendance économique. Donc sans les ressources pour pouvoir quitter le domicile».
A noter que le centre Hubertine Auclert pour l'égalité femmes-hommes recense sur sa page internet l'ensemble des structures d'aide, des numéros, des mails ainsi que des adresses à destination des femmes victimes de violences en Ile-de-France.