Président de la Seine-Saint-Denis, l'un des départements les plus touchés par le coronavirus mais aussi l'un des plus pauvres de France, Stéphane Troussel tire la sonnette d'alarme sur le prix des masques en tissu.
Alors que les masques chirurgicaux ont vu leur tarif être plafonné par le gouvernement depuis le 1er mai, les masques dits «grand public» peuvent être vendus librement. Une situation à corriger d'urgence pour l'élu socialiste, interrogé par CNEWS.
Vous constatez des abus sur les prix des masques en tissu pratiqués par certains ?
Quand je vois aujourd’hui des masques en tissu vendus dans le commerce, au mieux à 5 euros, mais dont les prix s’envolent parfois jusqu’à 10 ou 15 euros, ça veut dire que des marges énormes sont faites par certains. Grandes surfaces aussi bien que petits revendeurs indépendants. Si, comme l'a dit le Président de la République, «nous sommes en guerre», et bien il y a toujours des profiteurs en période de guerre.
En avril, le département de Seine-Saint-Denis a commandé 1 million de masques en tissu lavables et réutilisables, pour un prix de moins de 1,50 euro HT l'unité. La première livraison devrait arriver la semaine prochaine, ce qui nous permettra d'en distribuer à nos agents, aux collégiens, aux villes qui se sont associées...
Mais au-delà de ces premières dotations par des collectivités locales, les gens vont devoir se fournir eux-mêmes. Si on doit vivre avec ce virus tant qu'un traitement ou un vaccin n'a pas été découvert, la question du renouvellement de ces masques se posera.
Quel serait le juste prix des masques en tissu, selon vous ?
Il faudrait les vendre au prix coutant. Il n'y pas de marge à se faire dans une situation pareille. C'est un scandale absolu, ce n’est pas acceptable.
Les masques en tissu vont devenir obligatoires, ou quasi-obligatoires, dans les transports, les écoles, au travail ou pour accéder à certains commerces. Ils seront un bien de première nécessité. En tant qu'équipement d'ordre sanitaire, il est donc nécessaire d'encadrer leur prix. Ceux des médicaments sont bien contrôlés, eux.
Le 27 avril, la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie, Agnès Pannier-Runacher, avait refusé d'encadrer le prix des masques en tissu car cela risquait de «freiner l'innovation»...
C'est un discours pour justifier l’inaction, et pour laisser des marges énormes à certains. Il faut arrêter de tergiverser et agir tout de suite. Ce n'est pas possible d'attendre de nouveaux contrôles pour vérifier qu'il n'y a pas des abus. Dès la semaine prochaine, de plus en plus gens vont devoir en porter.
Pour les masques chirurgicaux, il aura fallu attendre un mois et demi pour que le gouvernement se décide à encadrer leur prix. Et encore, le tarif fixé [0,95 euros l'unité] est quasiment 10 fois celui qu’on payait avant la crise. D'ailleurs, on constate désormais que tous les masques chirurgicaux sont vendus à ce tarif maximum.
Etant donné que j'ai commandé ceux du département à 1,50 euro l'unité, je suis inquiet du tarif que le gouvernement déciderait éventuellement de fixer dans un mois et demi...
Est-ce inquiétant pour les habitants de Seine-Saint-Denis ?
Les familles modestes ont déjà un certain nombre de leurs dépenses contraintes qui augmentent, comme l'alimentation par exemple, puisque les enfants n'ont plus accès aux cantines au tarif le plus bas. Et elles vont devoir en plus s'équiper régulièrement de masques.
Encadrer le prix des masques en tissu est une question d'égalité entre les citoyens. Déjà que la crise du coronavirus va aggraver les inégalités, des prix trop hauts ajouteraient encore une différence entre ceux qui peuvent s'acheter cet équipement sanitaire de première nécessité, et les autres.
Comment anticipez-vous le 11 mai en Seine-Saint-Denis ?
Le déconfinement sera sans doute plus progressif, car le département va vraisemblablement être classé en rouge. D'ailleurs, j'aimerais davantage de transparence sur ces chiffres, plutôt que de devoir attendre tous les soirs devant ma télévision les présentations de Jérôme Salomon. C'est plus que limite.
Nous développons aussi les pistes cyclables temporaires, avec 90 km aller-retour spécialement créés. Une voie pour les voitures dans les deux sens est supprimée, avec du marquage au sol. Cela anticipe nos aménagements pérennes en faveur du vélo. Nous visons les 100 % de voierie départementale d'ici à 2024. Sur 340 km, 150 km ont déjà été réalisés.
La stratégie «protéger-tester-isoler» d'Edouard Philippe peut-elle fonctionner dans le département ?
J'ai adressé une note au ministre de la Santé, Olivier Véran, pour lui dire les mesures qu'il fallait prendre pour que cette stratégie se déploie de manière utile en Seine-Saint-Denis. Il y a deux éléments spécifiques à prendre en compte.
D'une part, la situation de désert médical du département, liée aux départs en retraite des médecins sans successeurs. Car dans le schéma national, ce sont les médecins traitants qui doivent prescrire un test. Cette contrainte risque d'être un frein pour le déploiement de la stratégie en Seine-Saint-Denis. Il faut que les pharmaciens, qui sont très répandus et connaissent bien leurs patients, puissent les envoyer directement aux centres de dépistage.
D'autre part, compte tenu des caractéristiques économiques, sociales, voire culturelles du département, je recommande de renforcer les brigades d'identification. Il peut en effet y avoir des questions de langue et d'interprète, de maman seule à isoler et donc d'enfants à prendre en charge... Les équipes sanitaires et sociales doivent être mieux dotées en ressources humaines que dans un territoire plus favorisé.