En direct
A suivre

Coronavirus : le port généralisé du masque, cauchemar des personnes sourdes et malentendantes

Anissa Mekrabech a mis au point un prototype de masque inclusif, qui doit permettre d'être protégé sans empêcher la lecture labiale.[Lionel BONAVENTURE / AFP]

Elément clé de la lutte contre le coronavirus, les masques de toutes sortes fleurissent sur les visages. Leur généralisation, gage de protection pour la plupart des Français, est pourtant synonyme d'isolement et de stress pour une partie de la population : les personnes sourdes et malentendantes.

Impossible de lire sur les lèvres quand la bouche est ainsi recouverte. A la situation de crise sanitaire s'ajoute alors pour elles l'impossibilité de communiquer. Résultat : leur vulnérabilité est accrue.

Certaines personnes malentendantes peuvent entendre la voix mais sans vraiment saisir le message : dans ce cas-là, la lecture labiale peut être utilisée pour appuyer la compréhension. D'autres, dont la surdité est plus profonde, s'expriment grâce à la langue des signes pour laquelle l'expression du visage est cruciale afin de saisir le sens du discours. Ainsi, le port du masque peut s'avérer gênant à divers degré de déficience auditive.

Sourde de naissance, Marianne Queval a été directement confrontée au problème lorsqu'elle a développé les symptômes du Covid-19. Conduite à l'hôpital le 17 mars, elle s'est sentie «complètement noyée» face aux soignants masqués. «J'avais l'impression d'être une petite-fille perdue en plein milieu de la mer», raconte-t-elle.

Désorientée, cette habitante de Valenciennes a d'abord demandé aux médecins d'abaisser leur masque, ce qu'ils ont refusé. «Je peux le comprendre», concède-t-elle. Sa proposition de passer par l'écrit a également été écartée. «Je ne portais pas de gants et on m'a dit qu'il y avait un risque de contamination, raconte Marianne Queval. Je ne comprenais rien et en plus je ne voyais rien non plus parce que j'avais oublié mes lunettes.»

Une situation stressante qu'elle a particulièrement «mal vécu». «C'était hyper angoissant. J'étais en colère au fond de moi, frustrée. J'avais peur, surtout.»

La jeune femme a réussi à en apprendre davantage sur son état de santé en recevant le compte rendu médical, à la fin de sa prise en charge. Le diagnostic mentionne une asthénie (fatigue générale de l'organisme), due à une possible infection par le coronavirus. «On m'a dit de rentrer chez moi, de voir avec mon médecin traitant pour un arrêt maladie et de rester isolée pendant 15 jours».

Séparée de son fils et affaiblie, Marianne Queval a dû se rendre chez le médecin à quatre reprises pour le suivi de ses symptômes, notamment des difficultés respiratoires. Elle a rencontré le même problème de communication à chaque fois. «Je n'ai rien compris à ces termes médicaux», c'était «complètement flou», se souvient-elle.

«Fâchée par ce manque d'accessibilité», elle a décidé de raconter son histoire sur Facebook, au travers d'une vidéo qui a été partagée plus de 1 300 fois.

Cette séquence a notamment fait mouche à des centaines de kilomètres de là, en Mayenne, auprès de Sabine Rouy. Particulièrement touchée par le témoignage de Marianne Queval, cette interprète en langue des signes a décidé de s'engager pour faciliter la prise en charge hospitalière des personnes sourdes et malentendantes.

«J'ai écrit aux hôpitaux de mon département pour leur proposer de me contacter en visio si un patient sourd se présente», explique-t-elle. Sabine Rouy a l'habitude d'intervenir en milieu hospitalier, mais de manière rémunérée. Pour aider pendant l'épidémie, elle est prête à traduire gratuitement.

«Le message que j'ai envoyé aux hôpitaux a aussi été posté sur Facebook, pour qu'il puisse être relayé, et je l'ai fait suivre à d'autres interprètes langue des signes, ajoute-t-elle. Il a été diffusé au sein de l'association nationale de la profession.»

Sabine Rouy a ainsi été contactée par des interprètes d'autres régions, inspirés par sa démarche et souhaitant faire de même. «Ce n'est pas l'idéal mais ça permet au moins de traduire les propos du médecin pour rassurer et informer le patient. Ça évite aussi de passer à côté d'informations cruciales pour le diagnostic, comme les antécédents médicaux ou les éventuelles pathologies annexes. Ignorer ce genre d'éléments peut mener à des conséquences dramatiques.»

De manière plus générale, l'interprète mayennaise espère aussi faire naître la réflexion pour amener plus d'accessibilité. «Les hôpitaux doivent se tenir prêts à accueillir tous les patients, le Covid-19 peut toucher tout le monde.»

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

(English scroll down) Bien qu'un masque soit un moyen pour nous protéger, il peut être source d'exclusion pour certains. En effet, il est peut être une barrière à la communication pour les personnes S/sourdes qui s'appuient sur la lecture labiale ou qui ont la Langue des Signes comme mode de communication (il empêche de voir correctement l'expression du visage qui donne un sens au discours). Ayant une surdité moyenne bilatérale, j'ai été confrontée à cette situation et malheureusement je n'ai pu communiquer avec la pharmacienne correctement (l'histoire est détaillée dans le lien). Merci de bien vouloir partager ce post (et/ou participer à la collecte , le lien est dans la bio). A mask can protect us but it can also cause exclusion. For D/deaf people (who rely on lipread to better understand the speech or who sign but can't see the full face expression), this mask can be a communication barrier. I have a moderate deafness and last week I couldn't communicate well with my pharmacist (full story in link - in profile). Please share this post (and/or join the fundraiser link in profile). #deaf #sourd #sourds #lsf #languedessignes #diymask #diyseethroughmask #inclusion #accessibility #malentendants #hardofhearing #hoh #sourdes #signlanguage

Une publication partagée par @ masqueinclusif le

Un point qu'Anissa Mekrabech ne contredira certainement pas. Cette créatrice toulousaine de maroquinerie s'investit elle aussi pour favoriser l'accessibilité aux soins des personnes sourdes et malentendantes. Son idée ? Créer un masque inclusif, composé d'une partie transparente qui laisse apparaitre la bouche et permet donc la lecture labiale.

Elle-même atteinte d'une surdité moyenne bilatérale, la jeune femme a lancé une collecte de fonds afin de financer son projet. Un premier objectif de 5 000 euros a été atteint, puis un second de 10 000 euros.

Pour l'instant, Anissa Mekrabech ne dispose que d'un prototype, qu'elle a elle-même réalisé. Elle est en contact avec l'Association française de normalisation (Afnor) afin de l'améliorer, notamment de façon à ce que les coutures ne diminuent pas sa capacité filtrante. Lorsque son masque inclusif sera jugé conforme, elle contactera des fabriquants.

«J'espère pouvoir le faire en tissu, pour éviter une production excessive, précise-t-elle. De cette façon, il pourrait être lavé et réutilisé». L'objectif de la Toulousaine est de rendre ce masque accessible aux soignants dans un premier temps, puis à tous ceux qui sont intéressés par la suite.

Un public cible plus large que prévu

La quantité de messages reçue après le lancement de la collecte de fonds lui a fait prendre conscience que son initiative s'adresse à un public plus large qu'elle ne l'imaginait.

Sa cible s'étend désormais aux professionnels paramédicaux (orthophonistes, audioprothésistes, ...), aux entreprises employant à la fois du personnel sourd et entendant, aux professionnels accueillant du public sourd et/ou entendant (centres commerciaux, administrations, ...) ainsi qu'aux familles mixtes (composées de membres qui entendent alors que d'autres non).

Certaines personnes sans besoins spécifiques plébiscitent elles-aussi l'initiative, séduites à l'idée de «voir un sourire», un visage rassurant et bienveillant, dans un moment difficile.  

Face à la nouvelle ampleur du projet, Anissa Mekrabech a sollicité l'aide de deux autres personnes pour l'accompagner dans cette aventure. Mais, même ainsi, il est peu probable que son masque inclusif soit prêt à être distribué largement d'ici le 11 mai, lorsque le port du masque sera potentiellement obligatoire pour tous.

Une échéance source d'angoisse pour la créatrice, qui raconte avoir déjà vécu des échanges difficiles dans une pharmacie. «J’ai voulu poser des questions mais je savais que je n’allais pas bien entendre et je ne voulais pas me mettre dans une situation inconfortable. D’autant plus que j’étais un peu stressée à l’idée qu’elle me pose des questions.Ce genre de situation entraine un stress, le repli sur soi et petit à petit l’exclusion sociale.»

Si elle ne nie pas une certaine appréhension, Marianne Queval a néanmoins choisi d'adopter un autre point de vue. «Je ne cherche pas à éviter ce genre de situations, assure-t-elle. Au contraire, j'y vais pour montrer qu'il y a un problème avec le masque.»

Anticipant les difficultés, la jeune femme a déjà réfléchi a différentes stratégies pour y faire face : «écrire sur le portable, sur du papier ou même acheter une ardoise effaçable. Même si ça parait ridicule, au moins je peux établir une communication».

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités