Le week-end dernier, il a lancé un cri d’alerte sur les réseaux sociaux. Mathieu B., 31 ans, est infirmier libéral à Lyon. S’il n’est pas sur le front de l'épidémie dans les hôpitaux, il doit malgré tout continuer d’exercer car des patients bloqués chez eux ont besoin des infirmiers libéraux. Et cela malgré le manque de moyens et d’appui.
«Aujourd’hui dimanche, je compte six paires de gants pour vingt visites à domicile», s’est indigné dans sa publication celui qui exerce depuis maintenant huit ans. Livrés à eux-mêmes, les libéraux doivent se débrouiller pour se procurer du matériel afin d’exercer leur métier dans des conditions de sécurité minimum, pour eux et le patient.
Mathieu travaille dans un cabinet situé à Lyon, composé de deux infirmiers titulaires et d'une remplaçante. Ils s’occupent «des personnes dépendantes», de patients en «hospitalisation à domicile» et pratiquent «des soins du corps, des distributions de traitements, des mobilisations». Ils aident également certains à se lever du lit ou se coucher le soir. Une clientèle composée à «90% de personnes âgées». Les trois infirmiers du cabinet effectuent également une tournée chez les patients atteints par le nouveau coronavirus durant leurs jours de congés.
L'impossibilité de se mettre en quarantaine
Car Mathieu et ses collègues ont dû faire face à un cas de Covid-19 avant l'instauration du confinement, le 17 mars dernier. Cinq jours avant, ils ont appris qu'une de leurs patientes était positive. L’inquiétude a été immédiate, car la femme âgée ne recevait quasiment aucune visite si ce n’est de l’équipe médicale et de «trois auxiliaires de vie». «On s’est dit qu’on avait 15 jours à trois semaines où on pouvait tomber malade», se rappelle l'infirmier.
L'inquiétude au sein du cabinet est grande. Notamment pour les autres patients car «à ce moment-là, on était pas du tout dans les règles de distanciation etc. On n’avait pas de masque, on faisait les soins comme d’habitude car on avait pas eu de consignes particulières», souffle Mathieu. Impossible pour le cabinet de se mettre en quarantaine sans travailler. Qui s'occuperait de leur clientèle ? S’en est donc suivi une angoissante attente car «on a des patients extrêmement fragiles qui n’auraient pas supporté même une forme moyennement sévère du coronavirus». De leur côté, les infirmiers prennent leur propre température «3 à 4 fois» par jour et ressentent de la «peur à chaque potentiel symptôme» du nouveau coronavirus.
Au stress mental, s'ajoute la crainte de ne pas être suffisamment équipé. En temps normal, le cabinet n’a aucun problème pour se procurer du matériel. Mais cette fois, les soucis pour s’approvisionner ont débuté «dès le mois de mars». «Au début c’était un peu la panique à bord, la désorganisation totale», confie le trentenaire. C'est un peu par hasard que le cabinet ne se retrouve pas à court de masques.
Une commande de masques avait été passée pour un patient dont l’état de santé «pouvait nécessiter qu’on se couvre le visage». «Cette boîte nous a permis d’être protégés sur une période de 15 jours car pendant ce temps on a eu du mal à trouver des masques chirurgicaux», explique-t-il.
Désormais, le cabinet a droit à une dotation hebdomadaire : «12 masques chirurgicaux et 6 masques FFP2». Pour le moment, il n’y a pas de manque à ce niveau-là car «tout arrive mais on court après le retard pris. Les décisions ont été prises trop tard», regrette Mathieu.
Une autre course a pris le relai, celle de la recherche de gants. «Depuis mercredi, jeudi dernier, on récupère des fonds de boîtes à gauche et à droite. Sinon on retourne les placards. Ce matin j’ai fait une quinzaine de pharmacies et j’ai réussi à trouver une boîte. Ça nous laisse trois jours devant nous, car un boîte de 100, ça nous fait trois jours».
«c’est incomparable avec ce qu’il se passe à l’hôpital»
Cette recherche de matériel, «régulière et angoissante», s'ajoute donc à la charge de travail des infirmiers : «Ça représente des heures de boulot et de déplacement pour trouver et pour l’instant on trouve une boîte par une ». Du coup, Mathieu s’est tourné vers Internet. «On est en attente d’une hypothétique livraison de gants qui pourraient nous laisser entrevoir plusieurs semaines de visibilité. Mais pour l’instant on ne l’a pas reçue».
En difficulté pour exercer son métier sereinement, Mathieu s'inquiète aussi des annonces gouvernementales : «On n’a pas de matériel pour travailler correctement et on commence à nous expliquer que les gens vont sortir… Ça, ça vient peser encore un peu plus». Il s'exaspère d'entendre parler de «déconfinement alors qu’on est en plein pic et qu’on a encore 6.000 personnes en réanimation. On est sur le fil. La journée d’hier et d’avant-hier en cumulé, ça fait plus de morts que le jour où il y a eu le pic, on est encore le nez dedans».
Selon l'infirmier, l'annonce d'Emmanuel Macron d'amorcer un déconfinement progressif au mois de mai n'est pas un soulagement. «Le 11 mai n’est pas du tout une date qui va faire sens pour nous. A titre personnel, on va continuer de prendre en charge des patients coronavirus, on ira pas faire le tour de toute la famille». Mathieu souhaite avoir accès aux tests de dépistage au plus vite et ne s'attend pas à une «résolution rapide de la crise».
Le soignant, qui a quitté l'hôpital public à cause notamment du «manque de moyens», «de reconnaissance et des conditions qui se dégradent», applaudit la ténacité de ses collègues : «C’est un exploit que l’hôpital soit encore débout. C’est incroyable qu’ils tiennent encore ces gens. Nous on se plaint car impactés aussi mais c’est incomparable avec ce qu’il se passe à l’hôpital». Il relève par exemple le manque de blouses mais estime que l'institution ne pourra «pas supporter d’être à plein régime pendant des mois et des mois».