Des «traces infimes» de coronavirus ont été détectées dans le réseau d'eau non potable à Paris, qui sert au nettoyage des rues et à l'arrosage de certains parcs. Lundi 20 avril, les autorités de la capitale et les experts ont expliqué pourquoi il ne faut pas s'inquiéter de ces analyses.
Quand ?
Eau de Paris, la régie publique qui gère l'approvisionnement de la capitale, a mené une campagne d'analyses courant avril, «comme cela se fait fréquemment», indique Emmanuel Grégoire, premier adjoint d'Anne Hidalgo.
Les résultats définitifs ont été obtenus «en fin semaine dernière», et la mairie de Paris a communiqué officiellement dimanche 19 avril.
Où ?
Au total, 27 prélèvements ont été réalisés à Paris, dans la Seine et sur des points aléatoires des 1.800 km du réseau d'eau non potable. Parmi eux, 4 ont montré la présence de traces de coronavirus.
Mais cela ne signifie pas que ces points particuliers sont contaminés. «C'est une analyse roulante du réseau, on prélève juste à des endroits différents», assure Laurent Moulin, responsable du laboratoire de recherche et développement d'Eau de Paris.
Les quantités
«Dès le début de l'épidémie en Chine, on a décidé de mettre en place une méthode pour détecter des traces du génome du coronavirus» dans les réseaux de la capitale, explique Laurent Moulin, qui est aussi microbiologiste et spécialiste du sujet des virus dans l'eau.
Bilan : environ 1.000 «unités-génome» par litre d'eau non potable ont été détectées par les équipes d'Eau de Paris sur les 4 points sensibles.
Un chiffre qui est toutefois très loin des 5.000.000 «d'unités-génome» mesurées à la sortie des égouts parisiens, avant traitement dans une station d'épuration. «Les ordres de grandeur sont les mêmes que pour la gastro-entérite», note Estelle Desarnaud, directrice générale adjointe d'Eau de Paris.
Ces chiffres révèlent «un virus qui a une résistance un peu plus élevée que les autres, tout comme le Sars-CoV-1 à l'époque [le SRAS de 2003]. Mais elle n'est finalement pas très différente de ce qu'avait imaginé la communauté scientifique au début de l'épidémie», tempère Laurent Moulin.
Comment ?
Selon Alban Robin, directeur de la recherche développement et de la qualité de l’eau à Eau de Paris, le cycle est simple : «quand une personne contaminée va aux toilettes, elle peut excréter le virus, via les matière fécales, qui se retrouve alors dans les eaux usées. Et même si les traitements sont très efficaces, des micro-traces peuvent ensuite se retrouver dans des cours d’eau».
Il faut en effet savoir que l'eau des toilettes, des douches ou des éviers des Parisiens est rejetée dans les égouts. Elle est ensuite assainie dans une station d'épuration, avant que cette eau usée traitée soit rejetée dans la Seine. Elle est enfin repompée quelques kilomètres plus loin, afin d'être traitée dans une usine pour l'eau potable, ou bien simplement passée au tamis si elle est destinée à l'eau non potable.
Pour Célia Blauel, adjointe à la maire de Paris chargée notamment de l'eau et de l'assainissement, la présence du coronavirus n'est pas une surprise : «c'est pareil pour toutes les épidémies. On retrouve régulièrement des traces de la grippe ou de la gastro dans l'eau».
Face à une telle maladie, «les eaux usées sont aussi un indicateur de l’état de la population», confirme Alban Moulin. Ainsi, si cette campagne de tests a été effectuée pendant que le Covid-19 progressait en région parisienne, «sur la phase descendante, on peut imager qu'on détectera moins de traces», anticipe le scientifique.
Les risques ?
«L'OMS n'a pas de cas rapporté de transmission de coronavirus par ingestion. Donc si on était amené à boire de l'eau non potable, ce qui est très déconseillé, on ne serait pas contaminé», explique Alban Robin.
Le danger potentiel se situe en réalité dans l'utilisation de cette eau pour un jet à haute pression, afin de nettoyer les rues ou d'arroser les jardins. «L'aérosolisation [les particules en suspension] et les gouttelettes sont les seules manières pour une transmission du virus», pointe en effet Anne Souyris, adjointe à la maire chargée de la santé.
quelle réaction ?
Après en avoir référé à l'Agence régionale de Santé (ARS) d'Ile-de-France, les autorités parisiennes ont vite réagi. Dimanche 19 avril, l'utilisation de l'eau non potable a été suspendue et remplacée par de l'eau potable dès le lundi 20 avril.
Bonjour, puisque nous n'utilisons plus le réseau d'eau non potable nous avons installé des kits de puisage sur les bouches à incendie (réseau eau potable). Cette boîte grise est un compteur d'eau et le tout permet de remplir une partie de nos engins pour le moment. pic.twitter.com/v26co2BrWx
— TSO de la propreté de Paris #RestezChezVous (@Proprete2Paris) April 22, 2020
En temps normal, les services de nettoyage de la ville utilisent «500 m3 d'eau non potable par jour», indique Paul Simondon, adjoint parisien à la propreté. Pour y pallier, des raccordements d'urgence sont prévus sur des bouches à incendie (alimentées, elles, à l'eau potable).
Si ce volume est infime comparé aux 400.000 m3 d'eau potable consommés quotidiennement à Paris, rien ne dit toutefois que ce système D soit suffisant pour l'atteindre. «On va voir ce qu'on peut faire. Cela dépendra des besoins et des impératifs de salubrité. Une chose est sûre : on ne va pas moins nettoyer la ville», avance Paul Simondon.
Concernant le réseau d'eau non potable, conçu au XIXe siècle sous le Second Empire, cette crise du coronavirus ne remet «pas du tout en question son existence», martèle Emmanuel Grégoire, le premier adjoint de la maire. «Ce réseau est très utile et essentiel dans une optique de développement durable. Son usage est seulement suspendu», assure-t-il.
Un avis du Haut Conseil de la santé publique est encore attendu sur l'extension ou l'arrêt de cette mesure provisoire.
quelle différence avec l'eau potable ?
Le réseau d'eau non potable est totalement indépendant de celui qui transporte l'eau potable. Ce dernier, qui s'étend sur 2.000 km sous Paris, subit des traitements «très lourds» afin de combattre les virus (et les pollutions) de plusieurs manières.
D'abord des ultraviolets s'attaquent au génome du virus, ce qui fait qu'il n'est plus fonctionnel. Puis de l'ozone et du chlore détruisent son enveloppe protectrice. Résultat : «il n'y a aucun risque à la consommation. L'eau potable du robinet est l’aliment le plus contrôlé de France», rappelle Célia Blauel.