Depuis quelques semaines, de l'Italie aux Etats-Unis, un débat monte parmi les médecins traitant les malades du Covid-19: quand faut-il les placer sous respirateur artificiel? C'est l'une des plus grandes questions actuelles, au même titre que celles sur l'efficacité réelle de l'hydroxychloroquine, dit un médecin américain à l'AFP.
Les remontées sont parcellaires et les études manquent encore en plein milieu de la pandémie, sans grand recul. Il est impossible de savoir si les personnes mortes sous respirateurs auraient survécu autrement.
Mais de nombreux médecins ont constaté que l'état de malades du Covid-19 semblait se dégrader rapidement après l'intubation, ce qui conduit depuis quelques semaines plusieurs hôpitaux américains à un exercice délicat pour retarder le recours aux respirateurs -- dont le gouvernement américain a commandé plus de 130.000 après une crainte de pénurie.
Les premières alertes sont venues d'Italie, où une grande majorité des patients placés en soins intensifs et sous respirateurs artificiels sont morts. Les statistiques sont tout aussi féroces au Royaume-Uni et à New York, où 80% des patients intubés sont morts, selon le gouverneur de l'Etat, souvent après une ou deux semaines en réanimation, des durées longues qui affaiblissent le corps, car les patients sont presque tous placés en coma artificiel et perdent des muscles.
Au début de l'épidémie, les patients à bout de souffle étaient traités selon un protocole bien rodé et établi pour ce qu'on appelle le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). Ce syndrome, qui fait que les poumons n'arrivent plus à prendre suffisamment d'oxygène pour bien alimenter les organes, peut être provoqué par une infection (pneumonie) ou un accident. La pratique, pour ces patients en détresse respiratoire, est d'intuber relativement tôt.
C'est comme cela que les malades graves du nouveau coronavirus étaient traités. Jusqu'à ce que des médecins s'aperçoivent que le syndrome Covid-19 n'était pas tout à fait identique à la détresse respiratoire «habituelle», en tout cas pour une partie d'entre eux. Les poumons ne sont pas abîmés de la même façon (ils seraient moins «rigides»).
Le docteur Luciano Gattinoni et des collègues de Milan ont décrit fin mars comment ils avaient ajusté leurs procédures.
«Tout ce que nous pouvons faire pour intuber ces patients est de gagner du temps en faisant le moins de dégâts possible», ont-ils écrit à la revue de l'American Thoracic Society. «Nous devons être patients».
«On apprend sur le tas»
«La plupart des médecins sont préoccupés par ces mauvaises histoires de gens dont l'état se détériore sous respirateurs, et beaucoup ont commencé à retarder l'intubation», dit à l'AFP Kevin Wilson, professeur de médecine à l'université de Boston et responsable de l'élaboration des consignes pour l'American Thoracic Society. «Mais jamais au point d'attendre que cela devienne une urgence», précise-t-il.
Les médecins se sont rendu compte qu'en réalité, les patients dont le taux d'oxygénation du sang tombait à des niveaux bas, qui déclencheraient normalement une intubation, ne se portaient pas si mal.
Au lieu d'intuber vite, les médecins utilisent des niveaux inférieurs de soutien en oxygène: des canules nasales (petits tubes dans les narines), des masques conventionnels ou plus sophistiqués, une oxygénation à haut débit, ou encore placer le malade sur le ventre, ce qui aide les poumons. «On apprend sur le tas», ajoute Kevin Wilson.
C'est ce qui se passe à New York, où plus de 10.000 personnes sont mortes du virus. «On essaie d'attendre un petit peu plus longtemps, si possible, avant de les intuber», dit à l'AFP Daniel Griffin, chef des maladies infectieuses de ProHealth Care, un réseau de 1.000 médecins qui interviennent dans une vingtaine d'hôpitaux de New York.
«Si on a l'impression qu'ils tiennent le coup, on les laisse tolérer des niveaux de saturation d'oxygène assez bas», poursuit le médecin. Certains se rétablissent sans aller plus loin.
Et si les patients finissent par avoir besoin d'un respirateur, Daniel Griffin dit que les respirateurs sont réglés différemment afin de délivrer de l'air avec moins de pression.
Les sociétés médicales, dont les experts internationaux de la Surviving Sepsis Campaign, sont en train de rédiger des consignes de bonnes pratiques. Aucune n'a encore de réponse définitive.