En réflexion depuis quelques mois, le changement de ligne politique des Républicains semble se préciser pendant le coronavirus. Cette crise pourrait être un accélérateur de la recomposition de la droite.
«La grille d’interprétation libérale est morte. Ce n'est plus possible de dire qu’on va faire de l'austérité afin d'être davantage compétitifs sur la scène internationale. On voit bien que la baisse des budgets publics a des conséquences absolument dramatiques et directes en cas de crise», avance à CNews le politologue Philippe Moreau-Chevrolet.
A l'heure où les barrières sont baissées aux postes frontières, la logique de la mondialisation effrénée ne semble plus si évidente. La dépendance à l'égard des importations venant notamment de Chine, pour se procurer des masques et autres équipements sanitaires, met également en lumière l'importance d'une production nationale, ou tout du moins continentale.
Enfin, la situation des «premiers de tranchée», les soignants, livreurs, caissiers, éboueurs, manutentionnaires, qui continuent à travailler pendant le confinement, ne pourra rester la même après «la guerre» contre le virus. Difficile de ne pas revaloriser les salaires de ces «héros» précaires.
le rétrécissement de la base électorale
Des thèmes de défense du service public, de limitation du libre-échange et de redistribution qui n'étaient pas en odeur de sainteté à droite ces dernières années. Depuis la quête du second mandat de Nicolas Sarkozy, la stratégie consistait à aller chercher des électeurs du Front National. Et les candidatures de l'austère François Fillon à la présidentielle, puis du clivant François-Xavier Bellamy aux européennes, n'ont eu pour effet que de rétrécir progressivement le socle d'électeurs potentiels.
Mais la série de défaites électorales a conduit Les Républicains à envisager une inflexion de la ligne. Après sa désignation, en octobre 2019, le nouveau président Christian Jacob a refusé «ce morceau d’une droite qui se recroquevillerait sur elle-même», regrettant que le parti se soit «déconnecté de la société civile». Le député de Seine-et-Marne a donc évoqué un «travail de fond» à effectuer, affirmant au passage «qu'on n’a pas besoin d’être de gauche pour parler de solidarité».
Une ouverture dans laquelle s'est récemment engouffré Aurélien Pradié, le secrétaire général du parti. Dans une tribune parue dans Libération, il a invité à «interroger le libéralisme» et a multiplié les critiques contre «l'argent seule échelle de valeur», la «question budgétaire devenue un dogme» et «le libre-échange non régulé». Au contraire, le député du Lot de 34 ans, qui se réclame «d'un gaullisme moderne», défend l'idée d'une «droite sociale», qui porterait notamment une «révolution des salaires».
Cette prise de position ne va toutefois pas sans heurter les sensibilités de certains membres libéraux du parti : «si LR devient un nouveau PS, ce sera sans les Français qui cherchent à bâtir sérieusement, à droite, un projet national et libéral», a taclé Guillaume Larrivé. Autre riposte, celle de Nicolas Forissier, député de l’Indre : «je n'appartiens pas à un parti qui adopterait des thématiques très proches de ce que l’on entend parfois chez LFI», selon Libération.
«Une tendance de fond»
Sans opérer un tournant aussi «radical», la formation semble toutefois être en pleine mutation. «Il y a une tendance de fond, qu'on pourrait qualifier de 'populiste', qui fait son entrée au sein de la droite française depuis plusieurs mois», relève Philippe Moreau-Chevrolet. Et le politologue de préciser : «on voit ça chez Xavier Bertrand et Rachida Dati. Ils arrivent à articuler un double discours, celui de la droite conservatrice, et un autre plus social, de défense du service public, plus proche de la préoccupation des gens».
Le président de la région des Hauts-de-France a ainsi félicité «ceux que l’on a considérés comme des invisibles», dans une interview à la Voix du Nord, saluant ensuite l'ensemble des salariés mobilisés pendant le coronavirus, «des paysans aux ouvriers de l’agroalimentaire, des routiers aux caissières de supermarché, des éboueurs aux agents du secteur de l’énergie…», dans le Figaro.
Plus concrètement, l'ancien ministre du Travail demande à l’État de mettre en place «une prime de reconnaissance nationale» à destination de ces travailleurs. Et une fois la crise passée, il appelle à «tirer nombre d'enseignements et surtout à remettre de l’humain dans nos choix».
Mais c'est surtout Rachida Dati qui a le vent en poupe, après avoir redonné de l'espoir à la droite. Bien qu'en mauvaise posture face à Anne Hidalgo dans l'état actuel des choses, elle a plutôt réussi sa campagne des municipales à Paris. Grâce à sa poigne et son audace, l'ex-Garde des Sceaux a d'abord unifié (en grande partie) la droite parisienne, pourtant très divisée. Avant de mener une offensive talons claquants et tambours battants, jusqu'à imposer ses thèmes de prédilection, sécurité et propreté – des sujets du quotidien –, dans le débat public.
Plus étonnant, la maire du 7e arrondissement a régulièrement quitté les quartiers chics, pour se rendre dans les arrondissements populaires du nord-est parisien, habituellement délaissés par la droite. Estimant important de «parler à tous les Parisiens», elle déplorait en effet que parmi ces quartiers, «certains sont de véritables territoires perdus de la République en plein cœur de Paris».
Car les thèmes actuels «sont en ligne avec la vision de la droite que Rachida Dati a toujours défendu : un libéralisme assumé mais qui doit aussi donner les moyens aux plus fragiles de construire leurs destins»», assure à CNews Nelly Garnier, sa directrice de campagne. Et celle-ci d'ajouter : «elle avait d'ailleurs sorti son dernier livre, La confiscation du pouvoir, en réaction au mouvement des gilets jaunes, cette France qu’elle connaît, d'où elle vient, qui travaille mais qui est en décrochage. Cette France qui n'est pas la plus favorisée mais qui est en première ligne face au coronavirus».
L'inspiration Sarkozy 2007
Une ligne qui n'est pas sans rappeler celle de la dernière grande figure victorieuse à droite : «Il y a une vraie possibilité de refaire Nicolas Sarkozy 2007, sur les mêmes bases d'un mélange d’autoritarisme et d’attention aux classes populaires. C'est possible que Rachida Dati porte ça, si elle en a l'ambition et qu'elle est bien entourée. Idem pour Xavier Bertrand, s'il se révélait dans l’effort», admet Philippe Moreau-Chevrolet.
L'ancien président de la République est d'ailleurs venu soutenir Rachida Dati dans la campagne parisienne, le 9 mars. Un déplacement qu'avait fait Xavier Bertrand quelques jours plus tôt, reconstituant ainsi le duo de portes-paroles qu'ils avaient formé à l'occasion de... la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.
Ce courant social pourrait s'élargir à d'autres ténors de la droite et du centre, présents lors d'une réunion publique de Rachida Dati début mars : Hervé Morin, président centriste de Normandie, et surtout François Baroin, président de l'Association des maires de France. Ce dernier était régulièrement cité comme favori pour mener la candidature LR en 2022 avant la crise du coronavirus.
Retour vers le futur ?
S'il est compliqué de démêler ce qui relève de la conviction et de l'opportunité, ce retour de la «Vieille garde», déjà présente dans le gouvernement Fillon 1 en mai 2007 (sauf Baroin entré trois ans plus tard), devrait encore prendre davantage de poids avec la crise actuelle. «On va avoir un besoin de réassurance, c'est-à-dire d'aller chercher des valeurs sûres. En opposition à l'élection d'Emmanuel Macron, quelqu'un qui peut donner l'impression d'avoir plus d'expérience et de maîtrise», anticipe Philippe Moreau-Chevrolet.
Mais il ne s'agira pas uniquement d'une question de personne, à en croire un conseiller de l'Elysée, qui se confie à CNews. «En 2017, Emmanuel Macron a installé le dégagisme des individus avec l'espoir de renverser la table. Cette fois, la sorti de crise sera le concours des solutions nouvelles. Et la confiance des citoyens dépendra des preuves. Celui qui l'emportera est celui qui proposera des idées sur des sujets complexes, avec des positions singulières. Il s'agit notamment d'indépendance sanitaire, d'indépendance alimentaire et d'indépendance énergétique».
Et pour l'instant, selon ce proche du président, «il n'y a pas grande monde» qui délaisse la critique au profit de la proposition. «C'est pour cette raison que tout le monde se tourne vers Emmanuel Macron en ce moment. Celui qui est légitime est celui qui est aux manettes, car il agit concrètement».
Reste à savoir si une fois la tempête coronavirus passée, le capitaine du paquebot France réussira à lui donner un changement de cap suffisamment fort. Les icebergs économiques et climatiques se dressent sur son chemin.