Au-dessus du lit, de petits cadres enserrent des souvenirs radieux sur une tapisserie désuète. Allongé, Jean*, 98 ans, peine à respirer malgré le masque à oxygène. Gersende, secouriste à la Protection civile de Paris, lui tient la main : «Ok pour aller à l'hôpital ?»
Le vieil homme, suspecté d'être atteint du Covid-19, marmonne une réponse inaudible. Ses trois enfants, regroupés autour de lui, sont désemparés. Après quelques hésitations, la famille se résigne à son départ.
«Il faut se dire que c'est le mieux pour lui, même si on ne pourra peut-être pas le revoir», se convainc l'un de ses fils, les yeux humides.
Gersende, Nathan et Nicolas, secouristes de la Protection civile, portent alors le nonagénaire sur un brancard, glissé avec mille précautions dans l'ambulance, et filent sirène hurlante en direction de l'hôpital Georges-Pompidou.
Ils font partie des 32.000 bénévoles de la «Protec». Quand ils n'enfilent pas les couleurs orange et bleue de l'association, Gersende, 40 ans, est responsable des ressources humaines dans une entreprise d'intérim, Nathan, 22 ans, est électrotechnicien et Nicolas, 20 ans, est agent de sécurité à la fac de Nanterre.
«Ce n'est pas la première fois qu'on vit cette situation, mais avec tous les proches qui sont là, certains pleurent, ce n'est jamais facile», souligne Gersende, au retour de l'intervention. «Le plus dur c'est pas le trash, le sang, mais le côté émotionnel», appuie Nathan, mains sur le volant.
Depuis le début de l'épidémie, la Protection civile intervient en renfort du Samu avec d'autres associations dont la Croix Rouge et l'Ordre de Malte, et sillonne les rues de Paris jour et nuit.
Formés aux premiers secours, ses bénévoles prennent les «constantes» (pouls, tension, fréquence et amplitude respiratoire, température) des victimes, peuvent les oxygéner avec des masques et les «brancarder» si un transfert à l'hôpital s'impose.
Ils ne disposent pas, en revanche, du matériel pour intuber et ventiler les malades. «Pour les cas les plus graves, les détresses vitales, il faut un médecin. C'est réservé au Samu», explique Gersende.
«Des jours meilleurs»
Depuis quelques jours, les appels pour «suspicions covid» se font plus rares sur leur radio, environ trois au quatre par garde, signe que le pic de l'épidémie est peut-être derrière eux.
«La semaine dernière, on n'arrêtait pas, on pouvait faire jusqu'à huit interventions sur 12 heures», rapporte Gersende. Un rythme soutenu, puisque la désinfection intégrale à l'eau de javel de l'ambulance grignote une vingtaine de minutes après chaque intervention.
Parfois, leur déplacement sert surtout à rassurer les patients, comme ce couple de quinquagénaires, qui a appelé le 15 sur les conseils de leur médecin traitant.
La femme dit avoir perdu l'odorat depuis plus de deux semaines, souffre d'une légère toux sèche, de maux de tête et de douleurs aux cervicales. A ses côtés, son mari explique avoir "du mal à respirer à fond" et être "essoufflé au bout de trois secondes" d'effort.
«Il n'y a rien d'alarmant, vous n'irez pas à l'hôpital. Prévenez votre médecin traitant et si ça s'aggrave, n'hésitez pas à rappeler le 15», les rassure Gersende.
Leur dernière intervention est plus inquiétante. Julie*, 33 ans, est blottie sous sa couette, secouée par une violente toux. Nicolas noue un masque sur son visage. La voix quasi éteinte, elle acquiesce aux questions avec son pouce.
Très affaiblie, elle est incapable de tenir debout. Les secouristes doivent l'évacuer en fauteuil de son petit studio jusqu'à l'ambulance pour son transfert aux urgences de l'hôpital Lariboisière.
Avant de partir, Gersende prévient la famille de la jeune femme, à sa demande. Au bout du fil, une mère inquiète. «Malheureusement, je ne peux pas vous dire quand votre fille pourra vous recontacter», lui annonce la secouriste.
Dans l'entrée, le petit mot d'un ami trône sur une rangée de livres. «Pas facile d'être malade et confinée», lui écrit-il, espérant que ce mot lui apportera «un peu de baume au coeur» avant de lui promettre «des jours meilleurs où on se racontera nos vies en terrasse».