Alors que les personnels soignants doivent redescendre dans la rue ce vendredi 14 février, onze mois après le lancement d'une grève sans précédent dans les services d'urgence du pays, l'ex-infirmier Hugo Huon, figure de proue du collectif Inter-Urgences à l'origine du mouvement, sort un recueil de témoignages choc «pour briser l'omertà».
Dans cet ouvrage, intitulé «Urgences, hôpital en danger» (Editions Albin Michel, 19 euros), le jeune trentenaire, qui jusqu'en janvier dernier exerçait encore aux urgences de nuit de l'hôpital Lariboisière, à Paris, se fait le porte-voix de 21 soignants qui, fait rare chez les «blouses blanches», ont décidé de briser la loi du silence.
Ils sont infirmiers, médecins ou encore aide-soignants, et tous fustigent «une mise à mort de l'hôpital public», arrivée aujourd'hui à un point tel que les patients, disent-ils, sont en danger.
«Il y a une culture de la terreur à l’hôpital sur l’expression collective et individuelle, les soignants ont peur de parler, ils ont peur de parler de ce qui se passe», prévient d'emblée Hugo Huon, qui espère que son livre, dont il promet de reverser deux tiers des droits au collectif Inter Urgences, pourra mobiliser les citoyens «avant qu'il ne soit trop tard».
VIDEO - Hugo Huon, du collectif @InterUrg publie un livre choc sur l'hôpital pour briser l'omerta pic.twitter.com/LkGd6N9ld4
— CNEWS (@CNEWS) February 13, 2020
A la lecture de votre livre, on découvre des situations effrayantes. Il n'y avait pas d'autre choix que de parler pour alerter ?
Il était surtout temps que les soignants se réapproprient la parole. Ce livre contient 21 témoignages de professionnels. Il est très probable que, demain, il y en ait 50 ou 100. La machine est lancée, et on ne s'arrêtera pas.
Ce livre peut donc libérer la parole à l'hôpital, selon vous ?
Oui. L'un des objets du livre et de montrer que les dysfonctionnements sont généralisés à l'hôpital, et à tous les niveaux de responsabilité.
Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, souligne un problème d'organisation au sein des hôpitaux. En cela elle a raison, mais en partie seulement. Il y a un problème d'organisation du fait des coupes budgétaires successives menées au cours des décennies précédentes.
Concrètement, cette «politique de la terre brûlée» a totalement changé la culture hospitalière en allant jusqu'à créer du ressentiment et de la défiance vis à vis de l'institution. Il était très important pour nous, en témoignant, de remettre du réel sur nos pratiques et de dire à quel point elles sont éloignées de l'idée que les gens s'en font.
Ensuite, l'idée était aussi de dire qu'il y a une culture de la terreur à l’hôpital. Les soignants ont peur de parler de ce qui se passe. Cela pour plusieurs raisons qui sont exposées dans le livre.
Enfin, après onze mois de revendications, ce qui est rare à l’hôpital, les plans proposés ne correspondent pas et on se retrouve dépossédés de notre parole et nous la rendons publique maintenant.
Les témoins de votre livre peuvent-ils s'exposer à des représailles ?
Oui. Des représailles, il y en a eu et il y en aura encore. Je pense que dès que la vague médiatique sera passée, des têtes vont tomber. Tant pis. On prend le risque de faire ce choix pour se battre aux côtés des patients pour améliorer la situation à l'hôpital.
Diriez-vous qu’en tant que patient, on est aussi en danger maintenant quand on va à l’hôpital ?
Bien sûr, et c'est pour cela qu'on se mobilise depuis presque un an maintenant. C'est parce que la qualité des soins n'est pas au rendez-vous.
Mon approche, de par mon expérience personnelle, en tant qu'ex-infirmier de nuit à l'hôpital Lariboisière, est aussi sociale.
Urgence : le livre événement sur la véritable situation des hôpitaux en France sort aujourd’hui en librairie !
Infirmiers, médecins, aides-soignants dénoncent une mise à mort consciente organisée par l’État et appellent à une mobilisation citoyenne.https://t.co/ECCQ8X1QAA pic.twitter.com/zzhx6lv3j4— Albin Michel (@AlbinMichel) February 12, 2020
A l'heure actuelle, si vous arrivez aux urgences en étant une personne vulnérable, une personne agée isolée ou atteinte de troubles psychiatriques ou en grande précarité, vous avez plus de chances d'être mis de côté.
Pourquoi ? Par ce que quand vous avez 150 personnes qui se présentent et que vous n'avez que 100 places, eh bien il faut choisir.
Le gouvernement a pourtant mis en place plusieurs plans...
Les soignants sont unanimes : les plans proposés ne répondent toujours pas aux problématiques actuelles.
Aujourd'hui, le gouvernement a deux possibilités : soit il réinjecte de l’argent, soit il admet, qu'en France, on met en place un système de santé au rabais parce qu’on n'a pas les moyens de nos ambitions.
Encore une fois, les dysfonctionnements sont tels que ce ne sont pas deux ou trois plans qui vont faire que les choses vont s’améliorer.
Le gouvernement s’engage notamment donner des primes mais nous, ce qu'on dit, c'est qu'on n’a pas de mal à recruter des nouveaux. En revanche, on a du mal à les maintenir en poste.
Qu'en est-il des agressions ?
Les agressions sont quotidiennes et largement sous-évaluées. Et ça en dit beaucoup sur notre métier : on ne les déclare pas parce qu'on se dit que rien ne va changer et qu'il n'y aura pas de réponse de l'Institution.
La société est bien sûr hyper anxiogène à l'heure actuelle mais, désormais, le nombre de personnes qui viennent nous voir et qui nous disent : «C'est bien de faire grève, on vous soutient» et qui, une heure après, viennent nous voir en nous disant : «Je te paye avec mes impôts, fils de pu***, donc tu vas t'occuper de moi rapidement», c'est un classique.
Et il y a là toute une ambivalence sur la situation. On ne peut pas dire «on veut payer moins d'impôts et avoir un service public hyper-efficace en même temps». Ce n'est pas possible. Ce sont des choix de société.
Quel message souhaitez-vous faire passer à la veille de cette nouvelle mobilisation des soignants ?
Le 14 février ce qui compte c’est de se remobiliser ensemble pour nous aider à repartir pour les prochains mois.
On essaye vraiment de mobiliser les citoyens, nous on défend les patients et, à ce titre, tout le monde est concerné et il est important que les gens nous rejoignent pour déclarer leur amour envers l’hôpital.