Si l'effet #Metoo a aussi contribué à libérer la parole dans la capitale, la prise en charge des victimes est encore loin d'être parfaite. C'est ce qui ressort du bilan annuel de l’Observatoire parisien des violences faites aux femmes, que CNews présente en exclusivité.
La mairie de Paris, les services du procureur de la République et de la préfecture de police, ainsi que les associations, se sont en effet réunis ce jeudi 23 janvier à l'occasion du comité de pilotage de l’Observatoire, qui a tiré un bilan de pour l'année 2018. Si le nombre de féminicides est en recul, passant de 4 en 2017 à 3 en 2018 et 1 en 2019, la tendance globale est très contrastée.
Au total, 3.865 faits de violences conjugales ont été enregistrés dans les commissariats parisiens en 2018, soit une hausse de 5,4 % par rapport à l'année précédente. De janvier à avril 2018, dans la foulée des révélations de #Metoo, le nombre de plaintes pour violences sexistes et sexuelles qui ont été transmises au procureur ont même explosé de 30 %.
De même, le Samu social de Paris a recensé 1.214 demandes de prise en charge par des personnes victimes de violences (134 femmes ont été admises) en 2018, contre 645 demandes (pour 111 admissions) en 2017.
Les signalements sur les mêmes bases en 2019
Et ce n'est pas près de s'arrêter, car selon les premiers indicateurs pour 2019, plus de 13 % de plaintes et 20 % de mains courantes supplémentaires pour des faits de violences conjugales ont été enregistrées dans les commissariats de Paris.
«Grâce à #Metoo et à tous les mouvements suivants, comme les nombreux rassemblements, le Grenelle des violences conjugales mais aussi les mobilisations sur les réseaux sociaux, il y a beaucoup plus de femmes qui révèlent les violences subies», souligne Française Brié, directrice générale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF).
Car dans cette association, qui gère le numéro pour les victimes 3919, le résultat est similaire : l'année 2017 avait donné lieu à 1.163 appels de Parisiennes pour violences conjugales, 119 pour violences sexuelles et 18 pour harcèlement sexuel au travail. En 2018, ces chiffres ont respectivement augmenté de 18 % , 29 % et 83 %.
Dans le détail, certains arrondissements de la capitale ont vu le nombre de plaintes déposées bondir entre 2017 et 2018. C'est particulièrement le cas dans les 7e (+ 85 %), 16e (+ 33 %) et 1er arrondissements (+ 29 %). Mais dans les faits, ce sont les commissariats des 19e et 20e arrondissements qui enregistrent le plus grand nombre de plaintes (493).
«Les violences conjugales sont massives et existent dans tous les milieux sociaux. Et les conséquences de la libération de la parole sont partout, y compris dans les quartiers huppés», souligne Hélène Bidard, adjointe parisienne chargée de l'égalité femmes/hommes et de la lutte contre les discriminations. Et l'élue communiste d'ajouter : «il y a autant d’hommes violents dans les catégories populaires que aisées. Par contre, c’est beaucoup plus dur de s’en sortir pour des femmes qui ne sont pas autonomes financièrement. Et dans les quartiers plus bourgeois, c’est plus facile ''d’invisibiliser'' les violences conjugales, et, peut-être, aussi davantage tabou d’en parler».
Mais selon l'adjointe, ces variations impressionnantes sont d'abord liées à la mobilisation des professionnels (policiers, associatifs ou encore personnels de santé), qui vont au contact des femmes victimes. «Ce qui fait la différence, c'est la mise en place de politiques publiques, financées, avec des professionnels formés. On voit alors les chiffres augmenter, ce qui nous permet ensuite de travailler pour les faire décroître, en mettant en place des politiques de prévention afin d'éviter d'en arriver aux violences», explique Hélène Bidard.
La police et la justice dans le rouge
Mais une fois la parole libérée et la violence signalée, reste à prendre des mesures. Et c'est là où le bât blesse. Dans le domaine judiciaire, les chiffres sont en effet globalement en baisse. Ainsi, 1.588 procédures de violences conjugales ont été transmises au parquet en 2018, soit une baisse de près de 5 % par rapport à 2017, et même de 19 % par rapport à 2016. Ces affaires ont donné lieu à des poursuites dans 82 % des cas, contre 91 % en 2017. Par ailleurs, 949 mains courantes pour des violences conjugales ont été traitées par les services de police parisiens en 2018, contre 1.268 l'année précédente, soit une diminution de 25 %.
Idem pour les ordonnances de protection, délivrées en urgence par le juge aux affaires familiales (JAF) pour mettre à l'abri une personne ou un enfant victime de violences au sein d'un couple : 152 de ces procédures ont été tranchées (dont 78 accordées) en 2018, contre 176 (pour 83 accordées) l'année précédente. Des interventions en recul d'environ 14 %.
Hélène Bidard se dit ainsi «très inquiète» et interpelle Marlène Schiappa [secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes], Nicole Belloubet [ministre de la Justice] et Christophe Castaner [ministre de l'Intérieur] : «il n'y a aucun moyen supplémentaire débloqué pour la police et la justice. Alors qu'elles sont déjà sur-sollicitées, je ne vois pas comment elles peuvent faire face à ces augmentations ? Comment les plaintes pourraient-elles être traitées dans des délais corrects ?».
Les victimes mieux accompagnées ?
De son côté, face au «volume important de délits commis contre les femmes», Française Brié plaide pour une meilleure organisation du parcours des victimes : «il faudrait qu'elles soient encadrées par des associations, des avocats ainsi que des tribunaux spécialisés. Les professionnels doivent être bien formés et expérimentés, et capables de répondre aux femmes 24h/24 ou avec des rendez-vous très rapides». Et la directrice générale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) de souligner : «les situations sont tellement traumatisantes, et les procédures longues et complexes, qu'il est important de ne pas re-victimiser les femmes».
Outre les procédures judiciaires bloquées, se pose ensuite la question de la prise en charge des femmes victimes. «Aujourd'hui, à Paris, 50 femmes avec des enfants dorment dans la rue, parce qu'elles ont fui les violences conjugales mais que les centres dédiés et les hôtels d'accueil sont pleins», alerte Hélène Bidard.
Des améliorations et des tests en vue
Pour autant, sur quelques aspects, les victimes de violences ont vu leur sort s'améliorer dans la capitale. Environ 14.000 d'entre elles ont en effet été accompagnées par des associations ou des organismes spécialisés en 2018, contre 12.900 en 2017 (+ 8 %). De plus, 381 femmes et 290 enfants ont bénéficié du dispositif de mise en sécurité Halte aide aux femmes battues (HAFB) du Samu social, contre 368 et 253 enfants en 2017. Idem, le dispositif Téléphone grave danger (TGD) monte en puissance, puisque cinq nouveaux appareils sont mis en service chaque année. Le nombre devrait ainsi être porté à 35 l'an prochain.
Et après avoir porté ses efforts sur les femmes réfugiées l'an dernier, très touchées par le problème, l’Observatoire a décidé, pour 2020, de travailler sur la prise en charge des enfants dont l'un des parents a été tué par son conjoint, ou victimes de violences sexuelles et de pédo-criminalité. En partenariat avec les différents acteurs, le Protocole féminicide, devraient ainsi permettre aux orphelins d'être admis provisoirement à l'hôpital Trousseau (12e) pour une évaluation, et d'être placés auprès de l'Aide sociale à l'enfance afin de mieux prévenir les traumatismes. Autre expérimentation prévue cette année dans la capitale : le dépôt de plainte à l'hôpital, qui sera testé à l'hôpital Saint-Antoine (12e).
Par ailleurs, Hélène Bidard, alliée d'Anne Hidalgo en vue des municipales, confie que les violences faites aux femmes seront «l'un des thèmes centraux» de la campagne de la maire sortante. «Nous avons beaucoup de propositions à faire, afin d'amplifier le travail sur ces questions», assure-t-elle, évoquant notamment de nouveaux lieux d'hébergement d'urgence à construire.