Le sujet est hautement sensible, et le gouvernement est peut-être en train de revoir sa position. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a indiqué samedi dernier qu’elle ne voyait «pas d’autres solutions» que de rapatrier sur le sol français les jihadistes français actuellement emprisonnés en Syrie.
L’exécutif avait pourtant toujours affirmé qu’ils devaient être jugés à l’endroit de leurs crimes et exactions. Pour bon nombre d’observateurs, cette prise de position de la ministre est une façon de préparer l’opinion publique a un changement de doctrine, suscitant émoi et inquiétudes.
Pointant du doigt les «récentes évolutions» qui secouent l’Irak (notamment la révolte populaire contre le pouvoir et les affrontements entre les Etats-Unis et l’Iran sur son sol), Nicole Belloubet a expliqué qu’il n’était plus possible dans ces conditions de juger les jihadistes sur place. La crainte est trop grande de les voir s’échapper de leurs geôles et de se disperser dans la nature. «On ne va pas avoir cinquante solutions : soit on va les rapatrier car on considère qu’il vaut mieux qu’ils soient sous contrôle français, soit ils s’évaporeront… avec les risques que cela suscite», affirme-t-elle.
les craintes de l'opinion publique
Jusque-là, le gouvernement avait toujours affirmé qu’il ne rapatrierait des camps syriens (contrôlés par les Kurdes) que les enfants, et au «cas par cas». Dix-sept sont ainsi revenus en 2019. En décembre dernier, quatre femmes de terroristes et leurs sept enfants ont également été renvoyés de Turquie, en accord avec un accord de coopération policière signé entre Ankara et Paris en 2014 (le «Protocole Cazeneuve»). Deux d’entre elles avaient immédiatement mise en examen pour «association de malfaiteurs terroriste criminelle».
De la même façon, Nicole Belloubet a indiqué que «tout combattant terroriste qui serait rapatrié (de Syrie) serait judiciarisé comme nous l’avons toujours fait».
Reste à savoir si cela suffira à faire taire les inquiétudes, alors qu’un sondage de février 2019 indiquait que 82% des Français souhaitaient que les jihadistes soient jugés en Irak. Neuf sur dix (89%) se disaient inquiets de leur possible retour, tandis que 67% estimaient simplement que la Syrie et l’Irak devaient s’en occuper seuls.
Les craintes sont évidemment de voir ces revenants organiser des attentats ou commettre des meurtres en France. S’ils venaient à être placés en détention, le risque serait également de les voir radicaliser d’autres détenus. La sécurité des surveillants pénitentiaires serait aussi source d’inquiétude.
L’entourage de la ministre a néanmoins rapidement tenu à préciser les choses, pour éviter que le débat ne s’embrase, en expliquant qu’il ne s’agissait pas d’un revirement de situation : «notre position est constante, nous considérons que les jihadistes doivent être jugés dans les endroits où ils ont commis leurs exactions».
Pour autant, les déclarations rassemblent fortement à un ballon d’essai, visant à tester la réaction de l’opinion publique.
plus de 250 détenus radicalisés vont être libérés dans les deux ans
Si cela venait à être le cas, les regards se tourneront alors vers la justice française, qui héritera de ces dossiers brûlant. Or, l’actualité se chevauche sur ce thème, puisque le premier français condamné pour être parti faire le jihad en Syrie, Flavien Moreau, vient tout juste d’être libéré de prison, lundi 13 janvier. Il avait reçu une peine de prison de sept ans en novembre 2014, et est désormais libre, bien que sous surveillance judiciaire pendant encore onze mois, grâce aux réductions de peine dont il a pu bénéficier. Au vu de son profil inquiétant (les surveillants se disent inquiets de sa libération), de nombreux élus de droite ont réclamé un élargissement de la rétention de sûreté pour les jihadistes et les radicalisés. Quitte à laisser enfermer autant qu’il le faut les personnes les plus dangereuses ?
En attendant la possible arrivée des revenants, les forces de l’ordre française auront déjà fort à faire. Atuellement, 500 détenus sont déjà incarcérés pour des faits de terrorisme islamiste et 1.100 pour radicalisation. Nicole Belloubet avait informé il y a quelques mois que 107 seront libérés en 2021, puis 147 en 2022.