Des milliers de partisans de paramilitaires irakiens pro-iraniens ont forcé mardi l'entrée de l'ambassade des Etats-Unis à Bagdad pour protester contre des raids américains en Irak, poussant les forces américaines à tirer des grenades lacrymogènes pour les disperser.
La foule en colère protestait contre les raids aériens américains qui ont tué dimanche 25 combattants des brigades du Hezbollah, un groupe armé chiite irakien membre du Hachd al-Chaabi, une coalition de paramilitaires dominée par des factions pro-Iran et intégrée aux forces régulières.
Les milliers de combattants et de partisans du Hachd, qui participaient au cortège funéraire des combattants tués, ont traversé les checkpoints de l'ultrasécurisée Zone verte de Bagdad, où siège l'ambassade et les institutions irakiennes. Les forces de sécurité avaient ouvert les accès, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Ils ont ensuite organisé un sit-in devant l'ambassade avant de parvenir à franchir la première enceinte du gigantesque complexe américain, en dépit de tentatives des forces irakiennes de les en empêcher.
Les forces américaines ont d'abord brièvement tiré à balles réelles avant d'utiliser des grenades lacrymogènes et assourdissantes depuis l'intérieur de la chancellerie. Le Hachd a fait état de 20 blessés.
L'ambassadeur américain se trouve actuellement hors d'Irak selon une source diplomatique.
Les manifestants se trouvaient toujours en milieu de journée dans l'enceinte de l'ambassade.
Le Premier ministre démissionnaire irakien Adel Abdel Mahdi les a appelés à se retirer. «Les forces irakiennes interdiront rigoureusement toute atteinte à une représentation diplomatique», a-t-il prévenu.
«Echec» américain
Avant d'attaquer l'ambassade, les manifestants ont brûlé des installations de sécurité à l'extérieur de la chancellerie, arraché les caméras de surveillance, jeté des pierres sur les tourelles de ses gardes et couvert les vitres blindées avec des drapeaux du Hachd et des brigades du Hezbollah.
«Non à l'Amérique» et «Fermé sur ordre des brigades de la résistance», ont-ils écrit sur un mur. Et «Soleimani est mon chef», en référence au puissant général iranien Qassem Soleimani, qui avait présidé aux négociations pour former le futur gouvernement en Irak.
Le pouvoir irakien a annoncé trois jours de deuil national pour les 25 combattants tués.
Les plus hauts dirigeants du Hachd -des officiels de l'Etat irakien qui interagissent régulièrement avec les officiels américains- étaient présents dans le cortège funéraire, ont constaté les journalistes de l'AFP.
Que Faleh al-Fayyadh, numéro un du Hachd et conseiller du Premier ministre pour la sécurité nationale, ou Hadi al-Ameri, chef du bloc parlementaire du Hachd, «soient impliqués en dit long sur l'échec de la politique des Etats-Unis et la nature de l'Etat irakien qu'ils ont aidé à créer», estime Fanar Haddad, spécialiste de l'Irak.
Les frappes américaines ont eu lieu en représailles à la mort vendredi d'un sous-traitant américain dans la onzième attaque à la roquette en deux mois, non revendiquée mais attribuée par Washington aux brigades du Hezbollah.
Depuis ces raids, le sentiment anti-américain n'a cessé d'être exacerbé par les partisans pro-Iran en Irak, pays secoué depuis le 1er octobre par une révolte populaire qui dénonce le pouvoir irakien accusé de corruption et d'incompétence, de même que l'influence grandissante du voisin iranien.
«Protéger»
Les factions armées et politiques pro-Iran mènent une campagne pour dénoncer l'accord de coopération américano-irakien qui encadre la présence de 5.200 soldats américains en Irak.
Les Américains, qui ont envahi l'Irak en 2003 et renversé le dictateur Saddam Hussein, se sont retirés en 2011. Mais des troupes sont toutefois revenues en 2014 dans le cadre de la coalition contre le groupe jihadiste Etat islamique (EI).
Outre les troupes américaines, le Hachd a aidé le pouvoir irakien dans le combat contre l'EI. Mais aujourd'hui, le Hachd -dont de nombreuses factions sont nées dans le combat contre l'occupation américaine- est une menace plus sérieuse pour les Américains que l'EI, selon des sources américaines.
Egalement dans la Zone verte, une autre campagne se déroule: au Parlement, plus d'une centaine de députés ont signé ces deux derniers jours un appel à inscrire l'éviction des troupes étrangères d'Irak à l'ordre du jour.
Après les frappes, Washington a accusé le pouvoir irakien de n'avoir pas su «protéger» ses soldats et diplomates, présents en Irak «à (son) invitation».
Le gouvernement irakien a rétorqué que «les forces américaines ont agi en fonction de leurs priorités».
M. Abdel Mahdi avait reconnu avoir été informé des frappes peu avant qu'elles n'aient lieu, par le Pentagone. «Nous avons essayé de prévenir des commandants».
Depuis des mois, les dirigeants irakiens mettent en garde l'Iran et les Etats-Unis, des ennemis jurés, contre une utilisation de leur pays comme un champ de bataille.