La Turquie a mis ses menaces à exécution. Elle a commencé à renvoyer les jihadistes qui peuplent ses prisons dans leur pays d’origine. La France est concernée, puisque onze d’entre eux doivent être expulsés dans les prochains jours. Il sera alors temps pour le gouvernement de dévoiler quel sort la justice leur réserve.
judiciariser les cas
En France, la loi s’applique à chaque crime commis par un ressortissant hors du pays, ainsi qu’aux délits effectués par des Français à l’étranger, s’ils sont punis par la législation du pays où ils ont été réalisés. Les jihadistes français de Daesh entrent donc dans ce cas de figure. La justice hexagonale devrait donc se saisir de leurs dossiers, d'autant plus s'ils reviennent sur le territoire national.
Il lui faudrait alors judiciariser leur cas et apporter des accusations recevables devant un tribunal. Elles n’ont pour le moment été proférées qu’oralement, au détour d’interventions médiatiques. Des mots comme «traitres» ou «ennemis de la nation» sont des «éléments de langages politiques et non des termes juridiques pertinents», estime Nicolas Bauer, doctorant en droit et chercheur associé à l’European Center for Law and Justice (Strasbourg), dans le Figaro. A la justice, donc, de trouver les bons chefs d'accusation.
Une autre particularité sera de juger les jihadistes comme des criminels, et non des combattants, indique-t-il. Daesh n’est en effet pas reconnu comme un Etat. Il ne s’agissait donc pas d’une guerre, au sens strict du terme. Les accusés seront donc responsables à titre individuel de leurs crimes, explique-t-il.
le risque de les voir un jour sortir de prison
Or, pour certains de ces terroristes, les éléments à charge récoltés pourraient s’avérer trop faibles pour des condamnations lourdes. C’est notamment ce qu’explique l’avocat de jihadistes condamnés à mort en Irak, Nabil Boudi, dans une interview au Point. «On dispose de vidéos, de photos, d’expressions sur les réseaux sociaux. Guère plus». Hormis le fait que les accusés ont bien rejoint le groupe terroriste, difficile, alors, d’apporter la preuve qu’ils ont tué ou commis des exactions. Et de les condamner en conséquence.
L’avocat estime que les peines prononcées «dans certains cas», iraient de quatre à huit ans de prison (d'autres seraient beaucoup plus longues). Et anticipe déjà que «l’opinion ne (les) jugerait pas suffisamment lourdes». Car la perception de l’opinion publique sur les décisions de justice est un point clé dans le rapatriement des terroristes. Elle ne comprendrait pas que des personnes ayant quitté et renié la France pour lui faire la guerre ne soient finalement condamnées qu’à quelques années derrière les barreaux.
Et une fois leur peine purgée, la question se poserait alors de les voir relâchées dans la nature. Comment protéger la société de personnes avec un pedigree aussi dangereux, et comment faire accepter à l’opinion publique qu’elles puissent, à leur sortie de prison, agir librement au milieu d’une population dont le mode de vie les a poussés à rejoindre Daesh, pour l’anéantir. Les risques d’attaques et d’attentats meurtriers, isolés ou par bandes organisées, seraient alors à leur maximum. Dans ce contexte, la justice pourrait prononcer des rétentions de sûreté. Une option ayant les faveurs du juge d'instruction David De Pas, coordonnateur du pôle antiterroriste du tribunal de Paris, pour qui «ils resteront (ainsi) sous le contrôle des services de renseignement et de justice» (Franceinfo). Si ce dispositif peut sembler convaincant, il augurera à coup sûr de nouveaux affrontements juridiques avec les avocats des jihadistes.
une instance internationale pour juger tous les jihadistes ?
Officiellement, la France reste toujours farouchement opposée à un rapatriement des terroristes. Elle estimen qu'ils doivent être jugés sur le sol où ils ont commis leurs crimes. Avec plusieurs pays européens (Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Suède, Allemagne, Danemark), elle partage l’idée de créer un tribunal pénal international en Irak, pour juger les jihadistes. Ce tribunal spécial mènerait des investigations puis engagerait des poursuites pour participation et complicité à un génocide, à des crimes de guerre, à des crimes contre l’humanité ou à des infractions moindres.
Une réunion entre les sept pays concernés a eu lieu durant le mois d’octobre, à Bagdad, sans aller plus loin que le simple stade de l’idée. Il faudrait en effet que ce tribunal soit validé par le Conseil de sécurité de l’ONU. Or celui-ci est constamment bloqué par le veto de la Russie et de la Chine dès qu’il s’agit de traiter de la situation en Syrie, dont ils sont alliés du président Al-Assad. Un autre problème majeur pour imaginer la création d’une telle juridiction serait de justifier le fait qu’elle se tienne dans un pays appliquant la peine de mort.