Ce n'est plus un secret, Emmanuel Macron chasse sur les terres régaliennes de droite. Il était déjà très libéral économiquement, il cherche désormais à séduire la droite «sociétale», celle des valeurs. Mais que cherche le président de ce côté de l'échiquier ?
Depuis la rentrée de septembre, il fait de la question migratoire un thème prioritaire de sa politique. Que ce soit en engageant un débat parlementaire sur l'immigration début octobre, ou en décidant d'instaurer des quotas pour les migrants économiques (alors qu'il s'y était dit hostile lors de la campagne présidentielle). Ou plus récemment en donnant une interview à «Valeurs actuelles», le très droitier hebdomadaire, pour parler immigration, communautarisme et voile. Tout comme l'avaient fait, avant lui, plusieurs ministres, de Gérald Darmanin à Gabriel Attal en passant par Marlène Schiappa.
Au-delà de l'image du journal conservateur, qualifié de «magazine spécialisé dans la haine anti-musulmans» par le communiste Ian Brossat, les mots choisis dans l'entretien sont lourds de sens politique : associations «droits-de-l'hommistes main sur le cœur», «tiers-mondisme non-aligné aux relents marxistes», objectif de «sortir tous les [étrangers] qui n'ont rien à faire [en France]», et ce à «100%». Autant de termes qui étaient jusque-là surtout adoptés par des responsables d'extrême droite, et qui témoignent, selon les observateurs politiques, d'une stratégie électoraliste assumée.
Préparer le duel (déjà) annoncé avec Marine Le Pen
Si Macron cherche ainsi à séduire la droite et l'extrême droite, c'est qu'il y trouve un intérêt politique : parler aux sympathisants du RN et de LR lui assurerait une plus grande assise électorale aux scrutins à venir. «Les municipales [de mars 2020] vont pencher à droite, beaucoup de maires sont non alignés et sont de 'divers droite'», relève Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication politique. Et d'ajouter : en vue de la présidentielle de 2022, «l'obsession de Macron est de conserver entre 20% et 25% des électeurs pour arriver devant ou être au coude-à-coude avec Marine Le Pen au premier tour.»
#Immigration. L’extrême droite en rêvait, Macron le fait. Instauration d'un délai de carence de 3 mois pour l'accès à la protection universelle maladie, durcissement de l'immigration familiale, réduction des demandes de droit d'asile. À gerber. https://t.co/UEkMpnHWPT
— Thomas Portes (@Portes_Thomas) November 5, 2019
«Tous les scénarios pour 2022 le mettent en face du RN», abonde Catherine Wihtol de Wenden, politologue spécialiste des questions migratoires. «La stratégie de Macron est donc de court-circuiter le discours qu’elle adoptera pendant sa campagne. Il veut pouvoir dire qu’il a agi en termes de contrôle et de reconduite aux frontières, de refonte du droit d’asile…» D'après l'experte, le durcissement de son discours serait donc lié à cette crainte de n’avoir aucun argument pour contrer Marine Le Pen. «Cela dénote une certaine panique de sa part, qui ternit son image d'homme rationnel, pragmatique.»
Une stratégie contre-productive ?
Sauf que cette méthode d'harponnage pourrait, à terme, s'avérer contre-productive. Selon Catherine Wihtol de Wenden, «le président risque de perdre la confiance d’un certain nombre d’électeurs modérés de centre-gauche et de centre-droite, allergiques aux sujets d’extrême droite». Résultat, il pourrait bien perdre davantage de voix qu’il peut en gagner. Et pour cause, «les électeurs préfèrent toujours l'original [le RN] à la copie [le camp Macron]».
On ne peut pas exclure que Macron soit authentiquement à droite, tant économiquement que sociétalementPhilippe Moreau-Chevrolet, expert en communication politique
D'autant plus qu'«il existe un ras-le-bol des électeurs concernant l'opportunisme de Macron, qui devient écologiste radical au lendemain des européennes de mai [où les Verts avaient fait une percée] et qui devient très droitier juste avant les municipales. C’est déroutant, et presque insultant pour les électeurs», estime Philippe Moreau-Chevrolet.
Autre hypothèse, selon lui : «On ne peut pas exclure que Macron soit authentiquement à droite, tant économiquement que sociétalement.» Depuis le début de son mandat, en effet, non seulement le chef de l'Etat est taxé de «président des riches» par ses adversaires, mais également chacune de ses réformes économiques et sociales, comme celle de l'assurance chômage, est «d'essence conservatrice et se fait au détriment des plus modestes», juge le politologue. Et l'année 2019, avec la sévère répression policière des mouvements sociaux, comme les gilets jaunes, ne devrait pas lui faire gagner des voix à gauche, bien au contraire.
Vers l'émergence d'un autre mouvement ?
Pour Philippe Moreau-Chevrolet, l'idéal de Macron, c'est la «stratégie par le vide» : faire en sorte qu'il n'y ait «que lui comme alternative» à l'extrême droite, afin de parvenir à être élu «par défaut». Sauf que «les Français n'aiment pas les scénarios écrits d'avance, et Macron demeure très impopulaire» si l'on en croit les sondages. Les électeurs modérés déçus de la nouvelle stratégie de Macron pourraient donc décider de soutenir d’autres partis, comme les Verts ou un candidat non aligné.
Avec la perspective de l'émergence d'un nouveau mouvement, ni à droite ni à gauche (comme Macron en campagne...), mais qui motive et mobilise plus que jamais les Français ? Une chose est sûre : à côté d'un RN à l'extrême droite et d'un chef de l'Etat qui drague l'électorat de ce dernier, il y a un espace à occuper sur l'échiquier.