Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
MERCREDI 9 OCTOBRE
Si vous le voulez bien, commençons par la littérature. C’est, pour nous tous, je crois, une façon de résister à l’air du temps douloureux, dont je parlerai plus tard, dans ces colonnes. A la réception de nombreux mails de lecteurs, je constate combien le livre de Jérôme Garcin sur Gérard Philipe a intéressé non seulement la génération qui a admiré ce «prince», mais également d’autres, qui découvrent ce comédien unique. C’est la force de l’écrit : le passé n’est jamais mort. Il nourrit ceux qui écrivent. Ainsi en est-il pour le lumineux «Scrabble» de Michaël Ferrier (éditions Mercure de France). D’autres ont déjà souligné (dans les pages littéraires du «Monde», de «Libération», du «Figaro») que Ferrier est un écrivain éblouissant. Le récit de son enfance au Tchad, à N’Djamena, où il était surnommé «Toumaï» (cela signifie «espoir de vie») est d’une beauté presque stupéfiante.
- Tu es un poète, lui dis-je, lorsque je le rencontre (c’est un ami), il y a dix jours pour un déjeuner à Montparnasse.
Il est entré dans l’établissement avec cette vivacité dans les gestes, cette chaleur humaine et, à 52 ans, cette jeunesse sur le visage, la marque d’une enfance, si présente dans sa mémoire, dont il a attendu quelques temps, après plusieurs autres livres, tout aussi remarquables (dix-huit en tout) pour la restituer.
- Merci, me dit-il.
- Tu n’as rien, mais rien oublié, c’est d’une richesse inouïe. Les odeurs, les sons, les animaux, les plantes, la brousse, la forêt, les gens les plus humbles, le quartier Bololo et Baba Saleh, le domestique «sage».
- On ne peut pas oublier. Il faut trouver les mots, c’est tout.
Ferrier n’a pas de mal à «trouver les mots». Sa prose n’est pas une prose, c’est un chant, un concert d’images, de scènes et de dialogues. C’est euphorisant et porteur de gravité, puisque, au bout du compte, arrive la guerre. Le Tchad, à partir de 1978, va être déchiré par la violence. L’enfant est témoin de scènes folles, «incommunicables», selon Ferrier, et pourtant, il les transmet avec un rare talent.
L’APRÈS-3 OCTOBRE
Une déflagration a eu lieu, à Paris et dans notre pays, notre nation. Ce n’est pas, malheureusement, la première fois. Depuis 2015, en fait, depuis les attaques de «Charlie-Hebdo» et du Bataclan. Mais l’opinion publique a été sidérée par le meurtre de ces quatre policiers en plein cœur de la Préfecture de Police, par un fonctionnaire radicalisé, Mickaël Harpon, devenu symbole de l’«hydre islamiste», dont a parlé Emmanuel Macron. Le président de la République, dans un discours empreint d’une colère bienvenue, a prononcé les mots que l’on attendait. Les enquêtes sont en cours, les révélations de plus en plus alarmantes. Rien n’est encore totalement su, perçu, analysé. Il faudra du temps pour que l’on mesure ce qui n’a pas été fait, ce qu’il faut faire. Voilà le terme le plus souvent entendu depuis ce discours : «Après les paroles, les actes – les mots ne suffisent pas». Il est vrai qu’un tel discours, une telle cérémonie, aussi solennelle que tant d’autres, dans les mêmes endroits, au son des mêmes hymnes militaires, s’ils ne sont pas accompagnés d’un acte visible vis-à-vis de l’opinion, un acte immédiat, eh bien, les critiques et les déceptions continueront d’affluer. Un homme politique n’est pas «coupable» de ce qui s’est passé – les failles, les erreurs, les complaisances, les négligences ou les habitudes –, mais il en est «responsable».
JEUDI 11 OCTOBRE
Au cinéma, c’est une très bonne première semaine, en termes d’entrées (un peu plus de 200 000), pour «Alice et le maire», avec Fabrice Luchini. Mais surtout, il faut saluer le succès de «Au nom de la Terre !» d’Edouard Bergeon (471 679 entrées). C’est bien. Cela prouve que le cinéma ne se limite pas à des guerres de galaxies ou des pantalonnades vulgaires. Il conduit à réfléchir et choisir.