Une batterie de caisses en libre service, à coté desquelles une «animatrice de caisse» prodigue des conseils au client: le modèle se répand comme une trainée de poudre, menaçant un métier né avec l'essor de la grande distribution dans les années 60.
«Ca tue l'emploi!», s'insurge Evelyne (les prénoms ont été modifiés), 30 ans de caisse chez Carrefour à Paris. «Et puis c'est pas humain. Vous lui dites bonjour, vous, au robot?»
En face d'elle, Jeanine, 80 ans, approuve vigoureusement. «Ils ont refait entièrement le magasin et parfois on n'a que des caisses automatiques ouvertes. Il faut toujours aller vite, vite, mais ils pensent à nous, les gens âgés?»
Dans son dos, une jeune femme l'oreille vissée au téléphone portable prend résolument la direction des caisses automatiques, passe deux melons au scanner et paye sans même raccrocher.
«C'est entré dans les moeurs, la moitié des magasins sont équipés de caisses automatiques», relève Daniel Ducrocq, spécialiste de la distribution chez Nielsen. Le cabinet estime que 10% du chiffre d'affaires des grandes surfaces passe par des caisses automatiques.
On les trouve massivement dans les supermarchés de proximité où le client urbain cherche du «dépannage» à toute heure.
Car les caisses automatiques permettent d'ouvrir à moindre coût le soir ou la nuit, ou encore de contourner la loi interdisant aux grandes surfaces alimentaires d'employer les salariés le dimanche après 13h.
Dimanche dernier, à Angers, quelque 200 manifestants ont protesté contre l'ouverture l'après-midi d'un hypermarché Casino équipé uniquement de caisses automatiques. Une première pour un hyper, mais une pratique instaurée «sans difficulté» dans 82 supermarchés Casino, relève le groupe.
«L'automatisation des systèmes d'encaissement entraîne irrémédiablement la diminution du nombre de caissières», observe Jean Pastor, délégué syndical central CGT de Casino. «On est pas des arriérés, on sait très bien qu'il y a une évolution, mais la question c'est qu'est-ce qu'on veut comme travail pour demain ?»
«S'il est fait par des machines, ça me pose aucun problème, il y a des métiers répétitifs. Par contre il faut que la productivité gagnée puisse servir le bien collectif, c'est à dire que la caissière à temps partiel passe à temps complet et puisse faire autre chose dans l'entreprise».
Quid de «l'humain» ?
De plus «les salaires portent tout un tas de prestations, de sécurité sociale, allocations familiales...» rappelle-t-il.
Le président de la Chambre de métiers et de l'artisanat, Bernard Stalter, évoque lui un «péril pour notre modèle social» et réclame «une taxe robot».
Depuis une dizaine d'années, le nombre de caissières a baissé de 5 à 10%, avec 150.000 emplois équivalents temps plein aujourd'hui, selon la Fédération du commerce et de la distribution (FCD).
En cause, l'automatisation, mais aussi la crise des hypermarchés. «C'est le circuit qui se porte moins bien, et celui qui emploie le plus de caissières», observe Daniel Ducrocq.
Des études aux Pays-Bas et au Royaume Uni estiment que 10 à 30% des emplois devraient être concernés par le développement du numérique, relève la FCD.
Toutefois, «une telle évolution n'a rien d'inéluctable» pour peu que les salariés soient «formés aux nouveaux services que les consommateurs attendront», affirme la fédération.
Moins de caissières, mais plus de vendeurs, managers de rayons, employés dans la sécurité...
Daniel Ducrocq souligne le «lien» avec la performance: «les magasins qui ont des employés marchent bien.»
L'«humain» vient en bonne place dans les discours des patrons de la grande distribution. Ainsi, Dominique Schelcher (Système U) assure que «les gens ont envie de pouvoir discuter avec une hôtesse de caisse, rencontrer un boucher qui va leur donner un conseil...»
Mélissa, caissière chez Monoprix, assure que les caisses automatiques se sont traduites par «moins d'heures de travail pour nous. Et il n'y a pas plus de vendeurs dans les rayons. Ca tue le boulot, les gens qui les utilisent pour aller plus vite ne se rendent pas compte».
La mutation du métier de caissière semble inéluctable, posant un défi de formation : c'est un des derniers métiers accessibles sans expérience ni qualification.