Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
LUNDI 10 JUIN
Avec quelques jours de décalage, on ne peut s’empêcher de repenser aux journées des 4, 5 et 6 juin dernier. En effet, deux anniversaires totalement opposés furent suivis par le monde entier. D’une part, à Portsmouth, en Grande-Bretagne, le 5 juin, dignitaires anglais, français et américains entamaient la série de cérémonies pour commémorer le 75e anniversaire du Débarquement – le fameux «jour le plus long» du 6 juin 1944.
A travers tous les rites, un mot fondamental était répété et célébré : «freedom», la liberté. Coïncidence du calendrier, le 4 juin nous rappelait aussi l’exact contraire : le massacre de Tiananmen, à Pékin, en 1989, il y a tout juste trente ans. Un pouvoir, celui de Deng Xiaoping et Yang Shangkun, tuait des étudiants, parce qu’ils manifestaient précisément pour la liberté. Brutalité inouïe, nuit de cauchemar, 10 000 morts – les chiffres réels demeurent inconnus. L’image historique d’un petit homme, debout devant une ligne de chars qui n’osent plus avancer, le monde entier l’a revue, tandis qu’en Chine, ce fut le silence absolu. Aucune mention des blindés roulant sur les corps des ouvriers et intellectuels, dont les restes étaient ramassés au bulldozer. Personne n’a le droit de parler de Tiananmen dans la Chine d’aujourd’hui, plus puissante que jamais. J’ai relevé cette phrase d’un écrivain légendaire, Lu Xun : «Les mensonges écrits avec de l’encre ne sauraient dissimuler une vérité écrite avec du sang.»
MARDI 11 JUIN
C’est décidément la saison des anniversaires. Ce soir, à Paris, dans une ville de plus en plus asphyxiée par les travaux, dans un magma de véhicules sous une pluie désagréable, d’innombrables membres de la presse, du spectacle, de la politique, de la culture et de la mode se réunissent autour de Constance Benqué et Olivier Royant pour fêter les 70 ans de Paris Match. C’est une foule de noms et de visages notoires – la liste serait trop longue.
Il faut signaler l’étonnant hors-série intitulé Secret des couvertures, sorti à cette occasion. Quelque 3 650 couvertures en l’espace de soixante-dix ans, avec, comme le raconte Patrick Mahé, qui fut un grand rédacteur en chef, l’exigence d’un choix, la force d’un portrait, d’un geste, d’une image. L’homme sur la Lune, Mao en noir et blanc, les tours de Manhattan, la mort de JFK, le tsunami de Phuket, les présidents et les stars, Johnny (plus de quatre-vingts couvertures), De Gaulle et Bardot, les Bleus étoilés de 1998, comme ceux de 2018, la mort de Brel, les chirurgiens du cœur, des scoops à la douzaine (l’affaire Mazarine Pingeot), les guerres (le Vietnam, la Cote 881)… C’est extraordinaire, la richesse et la puissance de ces «couv». Selon Patrick Mahé : «Une couverture attire l’œil, aimante vers le kiosque. C’est un enjeu majeur.» Il raconte quelques-uns des scoops qui ont marqué l’histoire de ce magazine, sans doute le dernier dans son genre (l’hebdomadaire américain Life était le plus lu, et il a disparu). On apprend, par exemple, comment des photos clandestines de «l’état de guerre» en Pologne, en 1981, avaient été récupérées dans un sandwich enveloppé d’aluminium et déposé dans la poubelle de la voiture d’un train partant de Varsovie pour Paris. Il y a, dans les longues et vibrantes pages de Mahé, illustrées par ces flamboyantes et surprenantes couvertures, de quoi écrire le roman vrai d’une certaine forme de journalisme.
Autre anniversaire. Celui des «Incollables». Né il y a trente ans, ce jeu, imaginé comme une anti-corvée de devoirs de vacances s’est vendu à 60 millions d’exemplaires dans le monde, dont 38 aux Etats-Unis et 12 en France. C’est grâce au succès de ces «Incollables» que les ingénieux créateurs ont pu, par la suite, lancer Mon quotidien, seul journal français conçu pour les écoliers et les lycéens. Autre preuve que, à l’heure du digital, la presse «papier» peut encore survivre et surprendre.