Alors que des cas de maltraitance en Ehpad font régulièrement la une des journaux, une centaine d'établissements ont choisi de former leur personnel à un label exigeant qui privilégie la relation avec la personne âgée.
«Chercher le regard de la personne, la toucher, parler calmement, donner un choix, tout ça c'est simplement le respect qu'on leur doit»: Lamine Thiam, infirmier aux Opalines de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), retrouve dans la formation Humanitude l'attention manifestée aux anciens dans sa culture sénégalaise.
La démarche est issue des recherches de deux enseignants d'éducation physique et sportive, Rosette Marescotti et Yves Gineste, qui ont travaillé sur la manutention des malades et ont construit une «philosophie du soin».
Concrètement, plus de 150 techniques permettent de prendre soin sans violence, en s'appuyant sur le regard, les paroles, le toucher, la position debout (au minimum 20 minutes). Aucun soin ne doit être réalisé «de force».
«C'est un changement complet de culture», décrit Annie de Vivie, dont la société pilote le déploiement des formations. «Au lieu d'imposer l'organisation à la personne, c'est l'organisation qui s'adapte».
«Quand un résident nous dit qu'il ne veut pas se doucher le matin, on peut remettre ça à l'après-midi, c'est pas la fin du monde», explique Lamine Thiam.
C'est pourtant contraire à la culture du soin des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), calquée sur l'hôpital.
«Les soignants sont formés à faire les toilettes le matin au pas de charge pour que le grand professeur qui passe avec le staff à midi trouve tout le monde lavé et changé. Mais moi je n'ai pas le grand professeur qui passe!», s'exclame Valérie Eymet, directrice de la résidence Massy-Vilmorin, dans l'Essonne.
«Pour certains soignants, ça peut être compliqué», reconnaît Karine Papaya, infirmière coordinatrice à Noisy-le-Grand. «Ils ont appris à boucler toutes les toilettes pour midi, et accord ou pas accord, on y va!»
«On ne fait plus d'abattage»
La méthode donne pourtant des résultats inespérés, comme pour ce patient atteint de la maladie de Parkinson que le personnel de Noisy pensait condamné au lit et qui, bien accompagné par deux soignants, a pu se lever, aller au lavabo et se brosser les dents. «J'étais bluffé», s'émerveille Lamine Thiam. Marcher quelques pas ou simplement être debout, c'est moins d'escarres, moins d'incontinence, moins de médicaments.
A Massy, la directrice constate une diminution de l'absentéisme et des accidents du travail. «On ne fait plus d'abattage, on réfléchit, on se met autour d'une table pour faire le point. Ça donne du sens au travail des soignants».
Dans un secteur où le personnel fait cruellement défaut, le label Humanitude est un atout pour attirer des soignants en quête de conditions de travail de qualité.
Le groupe Les Opalines, qui a connu il y a un an et demi la plus longue grève du personnel dans un Ehpad à Foucherans (Jura), convertit progressivement ses 47 maisons de retraite à l'«humanitude». Le processus est engagé à Digoin (Haute-Saône) et débute à Noisy-le-Grand.
«La directrice de Digoin a une liste d'attente de personnels qui veulent venir travailler chez elle», s'enthousiasme Lilia Guizani, responsable des Opalines de Noisy.
«La grande difficulté des établissements c'est l'épuisement des équipes. On ne peut pas bien travailler en dessous d'un certain niveau d'encadrement», estime Annie de Vivie, qui milite pour un ratio de 0,8 soignant pour 1 résident, contre 0,6 en moyenne en France aujourd'hui.
Vingt-et-un établissements ont obtenu le label, et une centaine ont entamé la démarche. C'est peu au regard des 600.000 lits en Ehpad. La formation coûte cher (25.000 euros par an pour un Ehpad de 80 lits) et il faut trois ans en moyenne pour décrocher le label.
«Mais la maltraitance coûte encore plus cher - en arrêts de travail, en absentéisme et en médicaments», souligne Annie de Vivie.
Pour la première fois, un rapport officiel, le récent rapport Libault sur le grand âge, a cité la démarche Humanitude.
«Je n'ai jamais eu autant de demandes», constate-t-elle. «Les professionnels eux-mêmes en ont absolument besoin, devant l'image dégradée des établissements et la difficulté de leur métier».