Après un an de rebondissements et une volte-face retentissante, l'islamologue suisse Tariq Ramadan espérait voir la justice lever ses deux mises en examen pour viol, mais la cour d'appel a rejeté sa demande jeudi.
L'intellectuel musulman de 56 ans est mis en examen depuis le 2 février 2018 pour deux viols, dont un sur personne vulnérable, des accusations qu'il conteste fermement.
Au début de cette affaire, Tariq Ramadan niait tout rapport sexuel avec les deux plaignantes: Henda Ayari, ancienne salafiste devenue militante laïque, qui dénonce un viol au printemps 2012, et une femme surnommée dans les médias Christelle, qui a rapporté des faits similaires commis à Lyon le 9 octobre 2009.
Mais contraint par l'enquête à changer de version, l'islamologue plaide désormais des relations de domination «consenties».
«Face aux mensonges et aux dénégations de M. Tariq Ramadan, la parole des plaignantes a pesé plus lourd», s'est félicité jeudi l'avocat de Christelle, Me Eric Morain. «C'est une bonne nouvelle que la parole des femmes en 2019 pèse plus lourd que ces mensonges considérables», a-t-il ajouté à la sortie de l'audience.
«M. Ramadan a menti tout au long de cette instruction, sa défense a bluffé et le dossier a parlé. Aujourd'hui, l'instruction continue et c'est une très très grande satisfaction», a-t-il conclu.
«La décision de la cour d'appel, dont on ne connaît pas encore la motivation, n'efface pas les mensonges démontrés des parties civiles, puisque les investigations ont démontré que les relations qu'elles ont eues avec M. Ramadan étaient voulues et pleinement consenties", a pour sa part réagi auprès l'AFP Me Emmanuel Marsigny, avocat de la défense.
Requête «prématurée»
Tariq Ramadan avait demandé cet été aux juges d'instruction de le placer sous le statut intermédiaire de témoin assisté, première étape vers le non-lieu qu'il réclame.
A l'époque, l'intellectuel niait encore tout rapport physique avec les plaignantes. Il avait seulement fini par admettre des relations extra-conjugales avec d'anciennes maîtresses et une troisième plaignante, pour laquelle il n'est pas mis en examen.
Les magistrats avaient donc rejeté sa requête, jugée «prématurée».
Cinq mois plus tard, la chambre de l'instruction a examiné à huis clos mi-janvier l'appel formé par Tariq Ramadan contre cette décision.
Mais entre-temps, la donne avait changé. Tariq Ramadan a en effet reconnu en octobre une relation sexuelle avec chacune des deux plaignantes.
«Même dans les moments de fougue et de domination, un non c'était un non», s'était-il toutefois défendu en présentant sa nouvelle version.
La position de l'islamologue était devenue intenable depuis la révélation en septembre de centaines de SMS sans ambiguïté exhumés d'un vieux téléphone de Christelle.
«Emprise»
Le bras de fer entre les parties tourne désormais autour de l'abondante correspondance sexuelle de M. Ramadan avec les deux femmes, qui a fragilisé leur témoignage tout en documentant, selon les parties civiles, «l'emprise» du prédicateur.
En premier lieu, la datation d'un SMS de Christelle où elle écrit que Tariq Ramadan lui a «manqué» dès qu'elle a «passé la porte» est au coeur des débats.
A-t-il été envoyé après les faits, comme le soupçonnent les enquêteurs de la brigade criminelle, ou plusieurs semaines avant, à la suite d'un jeu érotique sur Skype, comme l'affirme Christelle ?
Des messages de Mme Ayari, envoyés après la date des faits, ont également été analysés. Ils contiennent des propositions sexuelles mais également des reproches de violence et de manipulation.
De manière constante depuis leurs plaintes, en octobre 2017, Henda Ayari et Christelle ont décrit chacune un premier rendez-vous qui a basculé dans un rapport sexuel brutal et contraint.
Toutes deux ont aussi invoqué l'emprise exercée par l'islamologue - par des mensonges, des manipulations et des menaces - corroborée par des témoignages d'anciennes maîtresses qui figurent dans le dossier.
En avril 2018, une quatrième femme a déposé plainte en Suisse, entraînant l'ouverture d'une instruction à Genève, dans laquelle M. Ramadan n'a pas encore été entendu.
Celui qui fut longtemps considéré comme une figure aussi influente que controversée de l'islam européen a été remis en liberté mi-novembre, sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire.
Le prédicateur, qui souffre d'une sclérose en plaques, a dû verser une caution préalable de 300.000 euros et remettre son passeport suisse.