Les victimes des phytosanitaires seront-elles prochainement indemnisées ? Après le feu vert de la commission des affaires sociales, la proposition PS pour la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes professionnelles des pesticides attend le verdict final des députés de l’Assemblée nationale, ce jeudi 31 janvier.
Ils ne lâcheront rien. Et ce, même si la proposition de loi est retoquée une nouvelle fois comme elle a pu l’être en février 2018, par la majorité gouvernementale et la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Cette dernière la jugeait, il y a douze mois, «trop prématurée».
Après cette fin de non-recevoir du texte, la sénatrice Nicole Bonnefoy à l’origine de la proposition de loi l’avait promis, en 2018 : «nous avons deux options pour qu’il soit inscrit à l’ordre du jour : soit c’est le gouvernement qui le fait, soit nous sommes obligés d’attendre la niche socialiste de janvier 2019».
Rien du côté de la majorité gouvernementale dans ce laps de temps. Le PS a donc tenu son engagement auprès des 10.000 victimes potentielles des pesticides, qui attendent un geste depuis plusieurs années. Comme Paul François, céréalier charentais intoxiqué en 2004 par le Lasso, herbicide vendu par Monsanto. Il est le premier à avoir fait condamner le géant de l’agro-chimie en 2012 avant que le jugement ne soit cassé trois ans plus tard. Un nouveau procès s’ouvrira à la cour d’appel de Lyon, le 6 février prochain.
L’Etat, la MSA et l’agro-industrie
Le fonds tel que présenté dans le texte viendrait compléter l’indemnisation de la mutualité sociale agricole (MSA) des agriculteurs atteints de maladies liées à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques. Il prévoit «la réparation intégrale des préjudices résultant de l'exposition à des pesticides en allant au-delà de la simple réparation forfaitaire que la législation sociale limite aujourd'hui aux victimes professionnelles», selon le rapport sénatorial de Bernard Jomier paru en janvier 2018.
Pour que les victimes de pesticides puissent bénéficier de cette prise en charge, il faudrait disposer de 95 à 100 millions d’euros par an pendant dix ans, selon les projections d’un rapport interministériel (IGAS, l’IGF et le CGAAER) de janvier 2018.
L’enveloppe sera abondée pour moitié par l’Etat, pour un quart par la MSA (la sécurité sociale agricole, ndlr) et pour un quart par une taxe sur les profits des fabricants de pesticides.
Pour Paul François, président de l’association Phyto-Victimes, c’est clair : «il doit y avoir une solidarité autour des victimes, en particulier de la part des firmes dont on ne peut pas imaginer qu’elles n’avaient pas conscience de la dangerosité de leurs produits».
À l’heure actuelle, la reconnaissance en maladie professionnelle est pratiquement la seule voie de recours pour les personnes intoxiquées. Mais les délais se comptent en année pour obtenir cette réparation forfaitaire.
Atteint de troubles neurologiques, il a fallu à Paul François plus de cinq ans de bataille juridique pour que son statut de maladie professionnelle soit reconnu en appel en 2010 par la Tribunal des affaires de Sécurité sociale.
«Le nombre de victimes reconnues dans le cadre du régime agricole des accidents du travail et des maladies professionnelles apparaît aujourd’hui très limité, de l’ordre de quelques centaines en dix ans, et n’est pas représentatif du nombre réel de victimes», confirmait le rapport de l’IGAS, l’IGF et le CGAAER, l’année dernière.
«Une forme de négationnisme scientifique»
Un combat qui n’est pas sans rappeler le parcours législatif et judiciaire des victimes d’un des plus importants scandales sanitaires auquel le pays a déjà été confronté. Il a fallu attendre le 1er janvier 1997 pour que l’amiante soit définitivement interdite et 2001 pour qu’un fonds d’indemnisation pour les victimes soit monté, bien que les preuves s’accumulaient depuis les années 70.
«Faudra-t-il, cette fois encore, attendre aussi longtemps pour réagir ?», se demandent les victimes des produits phytosanitaires, en la personne de son président, Paul François. La sénatrice Nicole Bonnefoy dénonce «une urgence sanitaire pour les utilisateurs de pesticides».
Contrairement à ce qu’a pu avancer la ministre de la santé, un lien de cause à effet -ou tout au moins un niveau élevé de présomption entre l’exposition aux pesticides et certaines pathologies- a été mis au jour par des études scientifiques. Et ne pas tenir compte des résultats de ces travaux représente pour Nicole Bonnefoy, «une forme de négationnisme scientifique inacceptable». Elle s’appuie notamment sur le rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), publié en 2013 ou celui de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), paru en 2016.
Lien de causalité et fort niveau de présomption
«D’ores et déjà, un faisceau suffisant d’informations existe et invite à prendre des mesures pour réduire les expositions professionnelles aux pesticides dans l’agriculture et à poursuivre les travaux permettant d’approfondir l’évaluation des risques et d’améliorer la prévention», affirmait le document de l’Anses, dont un nouveau rapport est attendu dans les prochains mois.
Malgré cela, la sénatrice a dû accepter une concession au moment au vote du texte au sénat. Le champ d’application ayant été limité aux agriculteurs ayant obtenu reconnaissance d’une maladie professionnelle. «J’aurais préféré que ce soit autrement mais c’était pour faire aboutir», admet-elle.
Depuis que l’Assemblée a retoqué le texte, des élus socialistes notamment ont cherché d’autres véhicules législatifs pour faire passer cette mesure, en vain. Que ce soit dans la loi agriculture et alimentation (Egalim) ou dans le projet de loi finances de la sécurité sociale 2019, les amendements déposés dans ce sens ont été rejetés par la majorité et par le ministre de l’agriculture, Didier Guillaume.
En cette fin de mois de janvier, c’est donc par la petite fenêtre de tir législative offerte par la «niche socialiste» que le rapporteur de la proposition de loi veut passer. Pour lui, l’accord de la commission des Affaires sociales mercredi dernier représente un «petit pas» vers la création d’un fond d’indemnisation des victimes, néanmoins encore bien «trop symbolique».
La réparation intégrale en question
Des amendements LREM ont prévu entre autres que la réparation des préjudices sera limitée «aux seules personnes ayant obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par les produits phytopharmaceutiques ainsi qu'à leurs enfants».
En revanche, les défenseurs de la loi n’admettent pas la réduction de l’indemnisation prévue par un autre amendement LREM. La réparation intégrale inscrite dans le texte deviendrait «forfaitaire». Pour l’association phyto-victime, l’indemnisation forfaitaire «n’est pas concevable tant moralement que constitutionnellement». Me Lafforgue, l’avocat de Paul François, rappelle que la particularité de chaque cas, de chaque handicap et de chaque prise en charge nécessaire «ne peut pas se forfaitiser».
Malgré ces concessions, la proposition de loi même aura au moins le mérite d’inscrire le principe d’une indemnisation des exploitants et des salariés agricoles victimes de la part de l’Etat et de l’agro-industrie.
La responsabilité de l’agro-industrie et de l’Etat inscrite
Un premier pas essentiel pour les agriculteurs malades de pesticides, et notamment pour Paul François. Il estime que «l’utilisation à outrance de la chimie dans l’agriculture n’est pas le fait des agriculteurs mais d’un choix de société et de consommation intensive datant de l’après-guerre».
Pour Delphine Batho, députée sans étiquette, ex-ministre de l’Environnement, «ce n’est pas la solidarité interne au monde agricole qui doit prendre en charge le préjudice, ce sont les fabricants et la puissance publique».
Avant même que la proposition de loi ne soit votée, un autre combat se profile. «Après il y a les riverains, l’environnement qui sont affectés par ces produits toxiques», poursuit Me Lafforgue.
Victimes de l’agriculture intensives, les riverains, sont aujourd’hui les délaissés de cette proposition de loi. Ils ne sont néanmoins pas oubliés. Prochaine échéance : 2022, pour étendre le fonds aux victimes collatérales.