En direct
A suivre

Lingerie : la délicate question de la représentation de la femme à l'ère #Metoo

Dans l'atelier de confection de lingerie de la marque Simone Pérèle à Clichy près de Paris, le 20 décembre 2018 [Lionel BONAVENTURE / AFP] Dans l'atelier de confection de lingerie de la marque Simone Pérèle à Clichy près de Paris, le 20 décembre 2018. [Lionel BONAVENTURE / AFP]

«On n'a pas trouvé mieux que les fesses pour vendre des culottes». Pourtant, la nécessité de représenter avec respect la femme à l'ère de #MeToo est devenue parfois un casse-tête pour les fabricants de lingerie française, tenants d'un savoir-faire unique.

Les strings et les push-up sont en perte de vitesse, le confort prime sur l'ultrasexualité, la notion même de séduction, indissociable des dessous, est redéfinie au profit du bien-être féminin et non du désir masculin et les campagnes publicitaires commencent à casser les codes du secteur, souvent accusé de véhiculer une image datée de la «femme-objet».

Dans ce contexte, la dernière campagne Aubade, marque haut de gamme qui revendique depuis 60 ans la «séduction», a déclenché une polémique en décembre à cause d'une énorme affiche montrant des fesses parfaitement rondes habillées d'une culotte brodée, affichée sur la façade des Galeries Lafayette à Paris.

L’élue communiste de Paris Hélène Bidard, adjointe chargée de l'égalité femmes-hommes, a réclamé sur Twitter «le retrait immédiat de cette campagne sexiste» utilisant une femme «sans visage». Le débat a fait rage, certains dénonçant la censure et rappelant que les femmes sont mal traitées dans les pays où de telles publicités sont interdites.

La directrice générale déléguée d'Aubade Martina Brown dans le siège de la marque à Paris, le 4 janvier 2019 [Lionel BONAVENTURE / AFP]
La directrice générale déléguée d'Aubade Martina Brown dans le siège de la marque à Paris, le 4 janvier 2019 [Lionel BONAVENTURE / AFP]

«C'était un peu inattendu, mais cela ne nous a pas perturbés», commente auprès de l'AFP Martina Brown, directrice générale déléguée d'Aubade, en rappelant que ses fameuses campagnes «Leçons de séduction» lancées il y a 25 ans ont «choqué, mais sans empêcher les femmes d'acheter les produits, ni la marque d'évoluer». «Les femmes adorent voir la finesse de la broderie, la dentelle, le fil, ça leur parle... Cela nous a amenés à zoomer encore plus, on coupe la tête, autrement ce n'est pas possible !»

Depuis 20 ans déjà, certains fabricants «montrent des vraies femmes et pas des mannequins. C'est un choix qui n'est pas le nôtre. On préfère faire rêver», ajoute la responsable d'origine allemande.

Exit le photoshop

Henriette H, une jeune marque de lingerie dont la notoriété s'est faite beaucoup sur Instagram, défilera le 20 janvier à Paris avec Aubade et une quinzaine d'autres ténors du secteur lors d'un show «aux allures rock», destiné à mettre en avant l'héritage du savoir-faire français.

Sa créatrice Sarah Stagliano, 36 ans, reçoit rue du Château d'eau à Paris, connue au 19e siècle pour ses maisons closes, dans une boutique rebaptisée «maison ouverte», où les culottes et autres pièces blanches avec des broderies coquines («baise-moi» sur une manche de chemise, «la main sur l'autre) s'essaient dans des cabines installées en vitrine. A la cliente de choisir de tirer le rideau ou pas.

«Cela peut être très mal perçu, mais si la femme se met elle-même en vitrine, elle est dans sa propre liberté», assure la créatrice qui défend le droit des femmes d'assumer leurs choix, y compris d'«être un objet sexuel», à partir du moment où ils ne sont pas imposés.

L'égérie de la marque depuis six ans, Jazzmine, est trentenaire, et Sarah Stagliano assure qu'elle sera «dans 10 ans encore le visage» d'Henriette H. Sur les photos, celle-ci tient à apparaître «comme elle est», refusant de voir retouchés ses seins, même s'ils «tombent peut-être un peu» après l'allaitement de son bébé.

La responsable du développement technique de la marque Simone Pérele Anne-Marie Afflard pose dans les ateliers de la marque à Clichy, dans la banlieue de Paris, le 20 décembre 2018 [Lionel BONAVENTURE / AFP]
La responsable du développement technique de la marque Simone Pérele Anne-Marie Afflard pose dans les ateliers de la marque à Clichy, dans la banlieue de Paris, le 20 décembre 2018 [Lionel BONAVENTURE / AFP]

Mais pas question pour autant de renoncer aux clichés sensuels dénudés. «Pour vendre une culotte, j'ai besoin d'une paire de fesses parce que c'est encore l'endroit où on la pose. Si je vendais de la crème fraîche et que je montrais une paire de fesses, là j'aurais l'impression d'utiliser» à tort l'image de la femme, explique Sarah Stagliano.

A l'inverse, la maison familiale Simone Pérèle présente depuis un an ses ensembles telles des natures mortes, posés sur un bout de canapé, ou ne dévoilant qu'une bretelle ou un petit décolleté portés par une sportive ou une écrivaine.

Caricatures

Une manière de décomplexer les femmes et de rendre la lingerie plus accessible. «Les femmes nous disaient souvent «'je vois un mannequin photoshopé' (...). Il y a un autre discours à porter», explique à l'AFP Stéphanie Pérèle, petite-fille de la fondatrice.

Renaud Cambuzat, photographe de mode et directeur artistique depuis 2016 du groupe Chantelle, qui réunit plusieurs marques de lingerie (Chantal Thomass, Passionata, Darjeeling...), estime qu'il n'y a toujours pas assez de propositions par rapport aux évolutions de la société pour une femme moderne «complexe, multi-facettes et changeante».

D'une part, il y a de gros shows à l'américaine ultra-sexués comme ceux de Victoria's Secret, «comme si #Metoo n"était pas vraiment passé par là», mais dont les difficultés montrent que «c'est peut-être la fin d'une époque», dit M. Cambuzat. De l'autre côté, «on tombe dans l'excès inverse : on ne veut plus de femmes squelettiques», donc on fait appel à des grandes tailles «assez caricaturales».

«Même après #Metoo on reste dans des propositions stéréotypées. Il y a pas mal de choses qui bougent mais il y a encore du chemin à faire».

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités