A Saint-Denis, théâtre d'une nouvelle fusillade entre jeunes qui a fait un mort et un blessé, les élus locaux accusent l’État de «regarder ailleurs» tandis que les habitants craignent pour la vie de leurs enfants.
«J'ai quatre enfants, comment je vais les protéger ?», s'interroge Angélina, au lendemain de la mort d'un adolescent de 16 ans, tué lors d'un échange de coups de feu qui s'est produit cité Romain-Rolland, vers 20H30. Blessé à la gorge, le garçon, élève en lycée pro dans une autre ville, est mort sur place. Un jeune, lui aussi âgé de 16 ans, a été déposé à l'hôpital après avoir pris une balle dans la cuisse. Soupçonné de faire partie des agresseurs, il a été placé en garde à vue, selon le parquet de Bobigny. Du sable a été répandu sur le sol pour masquer les larges traces de sang, mais la scène du crime, au pied de cette petite cité HLM, témoigne de la violence de la scène.
«Une soixantaine de fusillades»
«Les immeubles et les voitures alentour ont été arrosés, ils ont vraiment défouraillé», confie une source proche de l'enquête. Sur place, des étuis de calibre 7,62 mm ont été retrouvés - laissant penser à des tirs en rafale de Kalachnikov -, ainsi que des battes de base-ball et des barres de fer. «On en est à une soixantaine de fusillades depuis le début de l'année en Seine-Saint-Denis. C'est supérieur à Marseille», a dénoncé Stéphane Peu, le député PCF de la circonscription, lors d'un point presse improvisé à deux pas du lieu de la fusillade.
Car malgré le cri d'alarme de la procureur de Bobigny, Fabienne Klein-Donati, en janvier, suivi en mai d'un rapport parlementaire montrant que le département est «discriminé dans l'affectation des moyens», l’État «regarde ailleurs», dénonce le député.
«Il va falloir des actes, et pas seulement verser des larmes de crocodile à intervalles réguliers sur la situation de ce département», martèle M. Peu. «On ne devrait pas mourir à 16 ans, ni mettre en danger sa vie et celle des autres», ajoute le maire PCF Laurent Russier. Ce drame intervient alors que le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb inaugure mardi les «quartiers de reconquête républicaine», mesure-phare de sa police de sécurité du quotidien, qui dotera trente quartiers d'effectifs et de moyens de police supplémentaires.
«Ça pourrait être mes enfants»
Saint-Denis, qui était candidate, n'a pas été retenue, contrairement à Aulnay-sous-Bois et Sevran. Deux villes elles aussi touchées par la violence au cours des dernières 24 heures : à Aulnay, un homme de 26 ans a été grièvement blessé par balles lundi après-midi tandis qu'un jeune de 19 ans est mort poignardé dans la nuit à Sevran.
D'après les premiers éléments de l'enquête sur Saint-Denis, il s'agirait d'une «expédition punitive dans le cadre de rixes régulières entre les cités Joliot-Curie et Romain-Rolland». Mais ce qui alarme les habitants, c'est le recours plus fréquent à des armes à feu. «Quand on était jeune, ça s'arrêtait aux mains et aux gazeuses» (bombes lacrymogènes), témoignent deux trentenaires. Ceux d'aujourd'hui sont «toute la journée devant des séries, après ils veulent imiter. Il faut leur donner un projet, un travail, une femme, et on entendra plus parler d'eux».
Une mère de famille de 41 ans, témoin de la scène depuis sa fenêtre, raconte les angoisses de son fils : «Ce matin, mon fils de six ans m'a dit : 'maman je veux aller dans une poussette' pour aller à l'école». Il était tellement choqué qu'il n'arrivait pas à marcher, «ses jambes tremblaient». «Ca pourrait être mes enfants, c'est terrible», dit Eugène, 59 ans, qui habite le quartier depuis 17 ans. «Qu'est-ce-qu'ils vont devenir ces jeunes de 15-16 ans ?»