La réforme du prélèvement à la source, sur laquelle travaille l'administration depuis près de trois ans, pose une série de problèmes techniques et politiques, dont certains semblent insolubles.
Tour d'horizon des obstacles qui font hésiter le gouvernement.
Le risque d'une «usine à gaz»
Le prélèvement à la source, présenté comme une réforme de simplification, est appliqué dans la quasi-totalité des pays de l'OCDE. Mais sa mise en oeuvre dans l'Hexagone est rendue compliquée par la nature du système fiscal français, où l'impôt est calculé à l'échelle du foyer et non de l'individu, et caractérisé par l'existence de nombreuses incitations fiscales.
Cette spécificité a obligé Bercy à faire preuve d'imagination, voire de sophistication. Pour tenir compte de la répartition des revenus au sein du foyer, plusieurs taux d'imposition sont ainsi proposés (personnalisé, individualisé ou neutre). Et pour tenir compte des crédits d'impôt, un système d'acompte a été mis au point, permettant d'éviter de trop fortes avances de trésorerie.
Cette sophistication fait craindre une «usine à gaz», d'autant que des problèmes récents sont survenus. En juillet, Bercy a ainsi annoncé un report à 2020 du prélèvement à la source pour les employés de particuliers-employeurs, en raison du retard pris dans le lancement de la plate-forme dédiée aux déclarations de salaires. Au risque de se faire retoquer par le Conseil constitutionnel.
L'hostilité des entreprises et syndicats
Malgré tous ses efforts, l'exécutif n'a pas réussi à persuader les partenaires sociaux du bien-fondé de la réforme. Et doit donc affronter les critiques permanentes des syndicats et du patronat, pour une fois unanimes sur l'action du gouvernement.
En cause, côté entreprises: la «charge financière» de la réforme, évaluée entre 310 et 420 millions d'euros par l'Inspection générale des finances (IGF), mais aussi les tracas administratifs qu'elle risque d'engendrer (paperasse, risques de tensions avec les salariés...)
Pour les syndicats, c'est notamment la question de la confidentialité qui pose problème. «Les informations à la disposition des employeurs viendront interférer dans les relations avec les salariés» lors «des négociations salariales», a ainsi mis en garde la CGT.
La crainte d'un «bug technique»
Selon une note confidentielle du fisc révélée samedi par le journal Le Parisien, la phase d'essai du prélèvement à la source, testé auprès de certaines entreprises, s'est soldée par des centaines de milliers d'erreurs, extrêmement irrégulières d'un mois à l'autre. Il n'y a «a priori pas moyen de (se) prémunir» de certaines de ces erreurs, prévient la note.
Des problèmes minimisés par le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin. «Le dispositif technique fonctionne, il est prêt!», a-t-il assuré, estimant que «les erreurs identifiées» concernaient «moins de 1% des contribuables». «Elles ont été depuis résolues», a-t-il assuré.
Pour Olivier Vadebout, secrétaire général CGT Finances Publiques, «la question informatique» est cependant «le plus gros problème depuis le début». «Personne n'est fichu de dire à 100% si cela va fonctionner normalement», assure-t-il.
L'histoire récente, de fait, ne manque pas d'exemples de ratés techniques, par exemple lors de la mise en place du système Louvois, chargé de gérer la paye et la carrière des militaires. Ce dernier, après des années de dysfonctionnement, va être remplacé.
La peur d'un «choc psychologique»
Pour beaucoup, c'est la principale raison aux doutes du gouvernement: le prélèvement à la source risque de brouiller les repères des contribuables, qui verront leur salaire net amputé au 1er janvier 2019 du montant mensualisé de leur impôt.
Selon certains économistes, ce «choc psychologique» pourrait pénaliser l'activité, en créant chez les contribuables le sentiment d'une perte de pouvoir d'achat. Un risque malvenu, alors que la croissance peine depuis plusieurs mois à retrouver le rythme du début de quinquennat.
Politiquement parlant, le calendrier prévu n'est pas non plus le meilleur. Le prélèvement à la source entrerait en vigueur trois mois après la baisse de 0,95 point des cotisations salariales. Ce qui reviendrait à rendre invisible cette mesure, présentée comme l'une des principales réformes d'Emmanuel Macron en faveur du pouvoir d'achat
De quoi faire hésiter le gouvernement, confronté à une forte baisse de popularité. «La majorité craint de payer dans les urnes aux prochaines européennes des fiches de paie et des bulletins de pensions avec des montants en baisse», a résumé l'ancien secrétaire d'Etat au Budget Christian Eckert, catégorique sur ce point: «toute cette histoire n'est qu'une affaire politique».