Du glyphosate dans la prostate : Jean-Claude Terlet, agriculteur dans un village de l'Aisne, a décidé de porter plainte pour «empoisonnement» contre le géant américain Monsanto qu'il estime être responsable de son cancer.
«Ça c'est un cœur de bœuf, c'est extraordinaire» tâte Jean-Claude Terlet dans un rang de tomates sous l'une des serres de son exploitation nichée dans une impasse du village de Celles-sur-Aisne.
Ses fruits et légumes, cultivés sans «aucun traitement» chimique répète-t-il, se retrouveront bientôt sur l'étal d'un marché, le seul circuit de distribution que ce maraîcher de 70 ans, retraité agricole toujours actif, ait jamais connu.
Mais après plusieurs biopsies soldées en 2017 par une opération de la prostate rongée par des cellules cancéreuses, l'énergique gaillard a marqué le pas.
«Depuis que j'ai été opéré, je manifeste tous les jours une fatigue générale. Point de vue sexuel, c'est fini...Et j'ai une incontinence totale avec port de couches tous les jours, deux à trois fois par jour... Sur un marché vous imaginez, c'est désagréable. Je me sens vraiment diminué», confie-t-il.
Ce qui taraude le plus Jean-Claude Terlet est l'origine de son cancer. A la suite du diagnostic, il a demandé à faire une analyse d'urine au CHU de Reims (Marne) pour rechercher la présence de produits chimiques dans son organisme.
Résultat : «0,25 mg de glyphosate par litre dans les urines, c'est énorme», résume-t-il. Et d'en conclure, solennel : «je jure qu'en fin de compte mon cancer a été causé par ça, d'autant plus que dans cette analyse-là aucun autre produit de traitement n'apparaît.»
Ce père de trois enfants a utilisé du Round Up, herbicide contenant du glyphosate fabriqué par Monsanto, jusqu'en 2015, soit pendant une trentaine d'années de labeur «dans les chaumes pour détruire les vivaces, les bordures de bois où il y a des orties» car ce puissant systémique détruit la plante «pour toujours», explique-t-il.
En mai 2017, son avocat, Me Emmanuel Ludot, a déposé auprès du procureur de Lyon une plainte pour «empoisonnement» contre la multinationale américaine. Une expertise de l'agriculteur se tiendra en septembre pour établir si son cancer résulte effectivement de l'utilisation de cet herbicide controversé.
«Produit miracle»
Jean-Claude Terlet veut y croire, ragaillardi par la décision d'un tribunal de San Francisco (Etats-Unis), qui a condamné le 10 août Monsanto à verser près de 290 millions de dollars de dommages à Dewayne Johnson, un jardinier américain de 46 ans atteint d'un cancer, pour ne pas avoir informé de la dangerosité de son herbicide au glyphosate, jugé responsable de sa maladie.
Monsanto, désormais propriété du groupe pharmaceutique allemand Bayer, a annoncé qu'il ferait appel, affirmant que son produit n'était pas cancérigène.
«A mon sens c'était tout à fait logique que Monsanto soit condamné», estime l'agriculteur, reprochant au fabricant de ne pas avoir averti les utilisateurs de la dangerosité du produit.
Son masque «pas sophistiqué» et ses gants ne l'ont guère protégé contre les embruns qui «entrent dans la cabine quand on pulvérise» et les particules qui s'insinuent de toute part : «ça vient comme ça», dit-il.
«A l'époque, on nous présentait le glyphosate comme un produit miracle. Tout le monde l'achetait ! On ne mesurait pas les conséquences que ça pouvait avoir à moyen et long terme. Et aujourd'hui les conséquences sont là», lance-t-il.
Favorable à son interdiction définitive, le septuagénaire vilipende le manque d'harmonisation des politiques agricoles communes mais doute aussi qu'un éventuel produit de substitution soit moins nocif.
A ses yeux, un retour au désherbage mécanique pourrait être viable, «à la seule condition que les charges soient moins fortes», question de «rentabilité» dans un monde agricole en crise.
L'agriculteur axonais appelle désormais au réveil de ses pairs qu'il juge peu «solidaires», tandis que plusieurs actions en justice ont été intentées contre Monsanto ces dernières années en France.
Conscient qu'un procès s'annonce long et coûteux au regard de sa maigre retraite, M. Terlet se montre déterminé à obtenir une indemnisation à hauteur de son préjudice : «Je suis un teigneux, j'irai jusqu'au bout».