Le projet de loi asile-immigration, qui a suscité des critiques, y compris au sein de la majorité à l'Assemblée, arrive mardi au Sénat, avec en toile de fond la crise du navire Aquarius et ses 630 migrants.
Le projet de loi avait été adopté en première lecture fin avril à l'Assemblée après des débats très enflammés. Les Républicains et toute la gauche avaient voté contre. Au Sénat il fera l'objet d'un vote solennel de 26 juin. Il sera ensuite examiné par une commission mixte paritaire chargée de trouver une version commune aux deux chambres.
«Nous considérons que face à la nécessité d'une prise de conscience de la gravité de la situation, ce texte n'est certainement pas à la hauteur des enjeux», déplore le président de la commission des lois Philippe Bas (LR). «Ce texte est inutile», affirme pour sa part le sénateur PS Jean-Yves Leconte.
«Le texte ne comprend aucune mesure significative ni sur l'éloignement des immigrants irréguliers, ni sur l'intégration de l'immigration régulière, ni sur la lutte contre le communautarisme», accuse M. Bas, relevant que les demandes d'asile ont augmenté de 20,8% l'an dernier. «Il passe volontairement sous silence les difficultés majeures de notre pays comme l'obtention des laissez-passer consulaires pour éloigner les personnes en situation irrégulière, la gestion des mineurs isolés, la maîtrise de l'immigration familiale...»
«La commission des lois a donc élaboré un contre-projet plus cohérent, plus ferme et plus réaliste et propose des alternatives crédibles aux fausses solutions du gouvernement», selon le rapporteur François-Noël Buffet (LR). Elle a supprimé plusieurs mesures votées par les députés comme l'assouplissement du délit de solidarité ou l'extension du regroupement familial aux frères et soeurs mineurs.
Elle s'est en revanche opposée à l'une des mesures phares du gouvernement, la réduction de 30 jours à 15 du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile en cas de rejet d'une demande d'asile, la considérant «attentatoire aux droits des demandeurs d'asile et inefficace pour lutter contre l'immigration irrégulière». Elle a prévu toutefois que la décision de rejet définitif d'une demande d'asile vaille obligation à quitter le territoire français.
La stratégie de Collomb
Par ailleurs, les étrangers en situation irrégulière qui commettent un crime ou un délit passible de cinq ans d'emprisonnement seraient contraints de quitter la France. La commission a aussi interdit le placement en rétention des mineurs isolés et encadré celui des mineurs accompagnant leur famille. Elle a proposé de renforcer l'intégration des étrangers en situation régulière et souhaité ramener dans le jeu les collectivités locales.
Pour Jean-Yves Leconte, la stratégie du ministre de l'Intérieur Gérard Collomb face à l'immigration, «c'est de montrer aux migrants qu'ils ne faut pas demander l'asile en France». «C'est quelque chose qu'on ne peut pas cautionner alors que se déroule la tragédie de l'Aquarius». Dans ces conditions, a-t-il annoncé, «chaque fois qu'il y a un recul des droits, nous déposerons des amendements. Nous serons offensifs en réaffirmant les principes d'une politique plus ambitieuse».
«Nous déposerons aussi quelques amendements symboliques sur les dublinés (migrants enregistrés dans le pays de première entrée en Europe, ndlr) et l'entrave au droit d'asile, pour monter qu'il faut traiter les choses différemment», prévient-il, se rappelant «n'avoir jamais entendu Collomb une seule fois sur ces sujets pendant les 6 ans» qu'ils ont passés côte à côte à la commission des lois.
Pour leur part, les sénateurs du groupe CRCE (à majorité communiste) ont annoncé qu'ils «mèneront le combat contre ce projet de loi indigne des valeurs de la République». Quant au contre-projet de la droite sénatoriale, ils jugent qu'avec ses amendements le Sénat «marche à son tour sur les droits des étrangers et des demandeurs d'asile».
Thabi Mohamed Soilihi (LREM) a déposé de son côté une proposition de loi limitant le droit du sol à Mayotte dont il est l'élu et qui fait face à une forte immigration issue des Comores. Les 630 migrants secourus par l'Aquarius, au centre cette semaine de vives tensions sur la politique migratoire ayant secoué l'Europe, devaient arriver dimanche matin en Espagne après une semaine d'errance en Méditerranée.