Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
Lundi 28 mai
A la suite de son exploit, samedi dernier, dans le 18e arrondissement de Paris, et de la surmédiatisation dont il est l’objet et qui semble l’éberluer, le jeune et formidable Mamoudou Gassama dit, en cherchant ses mots : – Je n’ai pas pensé au risque.
Il dispose encore de peu de vocabulaire. Je crois que ça ne durera pas. Ce jeune homme venu du Mali possède la faculté d’adaptation de celui qui a traversé plusieurs pays et une mer pour parvenir jusqu’à cette France qui l’accueille et le célèbre. Il va vite apprendre. S’adapter, première forme de l’intelligence. Malgré son parler hésitant et modeste, il sait ce que veut dire le verbe «penser».
Au moment de passer à l’action, le héros, dans quelque circonstance que ce soit, ne «pense» pas. Pas plus sur la ligne de front, à la guerre, qu’au pied d’un immeuble. Propulsé par son instinct, par quelque chose au fond de lui qui lui fait dépasser sa simple condition, le héros se lance à l’assaut de l’obstacle avec la seule pulsion du courage. Mais il y a plusieurs bémols à apporter à cette définition : ainsi, le héros suprême, le colonel Arnaud Beltrame, à Trèbes, le 23 mars dernier, a sans doute, lui, pensé à son geste, qui allait devenir un sacrifice.
Il a «pensé le risque». Il l’a calculé, il a réfléchi, vite, mais il a pensé. Beltrame était – et demeure – un modèle exceptionnel. Gassama est un héros plus «quotidien». Il n’empêche : nous sommes tous restés bouche bée devant la vidéo de son escalade et devant la rapidité avec laquelle il s’est emparé du petit enfant et lui a évité une chute mortelle.
Quand j’apprends que, sur les réseaux sociaux, des «complotistes» se sont permis de remettre tout cela en question, insinuant qu’il s’agirait d’un trucage, j’en suis ahuri. Faut-il que l’imbécillité n’accepte aucune réalité, aucune vertu, aucune vérité ? Les réseaux sociaux sont, parfois, la poubelle des tordus.
Gassama a l’air, lui-même, d’un grand enfant. Il vient de loin. Quand on fait le compte récent des «héros du quotidien», on s’aperçoit qu’ils ont tous un point en commun – comme si leur lutte pour s’intégrer leur avait inculqué des notions de civisme et de devoir.
La liste est longue : de Lassana Bathily (manutentionnaire à l’Hyper Cacher, le 9 janvier 2015) à «Didi» (agent de sécurité au Bataclan, le 13 novembre 2015), en passant par Salim Toorabally (vigile au Stade de France, le 13 novembre 2015), vous rencontrez des identités très proches.
Mercredi 30 mai
Puisque nous parlons des gens venus d’ailleurs, je vous invite à vous procurer et à lire l’ouvrage de Sarah Marty, Soixante jours, que publie Denoël. C’est à cet ouvrage que nous avons, tout récemment, décerné le Prix spécial du jury Matmut. Je vous ai déjà parlé de ce concours, dont l’originalité consiste en ceci : primer des manuscrits écrits par des inconnus qui n’ont jamais eu accès à l’édition. Il y a plus de 2 000 candidatures envoyées par courrier à un comité de sélection qui, ensuite, sous la rigoureuse supervision de Jean-Charles Bordaries, nous en propose une grappe. Six au maximum. A nous, ensuite, de choisir.
L’histoire de cet homme, Yoldas, un Kurde, maçon de son métier, qui, avec quatorze autres compagnons de fortune, traverse «les chemins glacés et mortels de l’Europe» (dixit Bernard Pivot), est passionnante et marquée du sceau du vécu. L’auteure ne trouvait personne pour refaire le mur détruit de sa maison quand Yoldas est entré dans sa vie – après un périple qui l’avait conduit de Turquie en Bulgarie, puis en Serbie, puis en Macédoine, puis en Albanie, puis à travers la mer, puis sur les côtes italiennes, puis en France. Il y avait, au bout, la survie, la vie, l’espoir. Ce que, à sa manière, Mamoudou Gassama a aussi connu et qui lui a permis d’escalader facilement un immeuble pour sauver un enfant. Quand on vient de si loin, plus rien n’est vraiment difficile.