Le président français Emmanuel Macron a réuni mardi les quatre principaux acteurs du conflit libyen à l'Elysée pour tenter d'organiser des élections et sortir ce pays de l'ornière, sept ans après la chute de Mouammar Kadhafi, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Le Premier ministre du gouvernement d'union nationale reconnu par l'ONU, Fayez al-Sarraj, le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l'Est du pays, le président de la Chambre des représentants, Aguila Salah, basé à Tobrouk (est) et celui du Conseil d'Etat (chambre haute à Tripoli), Khaled al-Mechri, ont été accueillis tour à tour par le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian sur le perron de l'Elysée.
«Nous espérons un engagement des responsables libyens pour un scénario de sortie de crise», a expliqué l'Elysée, assurant travailler en appui de l'envoyé spécial de l'ONU, Ghassan Salamé.
Dix mois après la rencontre au sommet des frères ennemis libyens, le Premier ministre Fayez al-Sarraj et le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l'Est du pays, à La Celle-Saint-Cloud près de Paris le 25 juillet 2017, le chef de l'Etat français a pris le parti d'élargir le jeu.
Il a ainsi également invité, autour de la table mardi matin au Palais de l'Elysée, le président de la Chambre des représentants, Aguila Salah, basé à Tobrouk (est), qui ne reconnaît pas le gouvernement d'union nationale (GNA), et celui du Conseil d'Etat, équivalent d'une chambre haute à Tripoli, Khaled al-Mechri.
«Ils vont travailler sur un texte politique (...) Il faut un engagement collectif à tout faire pour que des élections (présidentielles et parlementaires) se tiennent d'ici la fin de l'année», résume la présidence française.
La feuille de route qui doit être validée prévoit aussi l'unification des forces armées et de sécurité, aujourd'hui constituées d'une myriade de milices, ainsi que l'instauration d'une seule banque centrale et d'un seul Parlement.
Ces engagements vont être pris devant 20 pays, membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, voisins de la Libye, pays européens, du Maghreb et du Golfe, tous impliqués dans la crise libyenne ou concernés par ses enjeux, notamment sécuritaires et migratoires.
«Victoire sur le papier»
Les présidents tchadien Idriss Déby, nigérien Mahamadou Issoufou, tunisien Béji Caid Essebsi et congolais Denis Sassou Nguesso, représentant de l'Union africaine sur la Libye, ainsi que le Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia, seront notamment au rendez-vous.
Forces en présence, «parrains» étrangers, puissances régionales et internationales, «chacun sera ainsi mis face à ses responsabilités», souligne l'Elysée, alors que la Libye reste plongée dans le chaos sept ans après l'intervention occidentale de 2011.
Emmanuel Macron, qui a fait de la Libye l'une des priorités de sa politique internationale, espère concrétiser la dynamique enclenchée à La Celle-Saint-Cloud.
Mais le pari s'annonce risqué au vu des divisions sur le terrain et des rivalités entre acteurs régionaux, notamment européens, selon les quatre experts consultés par l'AFP.
«Sur le papier, la conférence de Paris est une nouvelle victoire pour la France qui montre, au moins au plan diplomatique, qu'elle mène le jeu dans l'affaire libyenne», constate Federica Saini Fasanotti de l'institut Brookings à Washington.
«Mais la réalité est infiniment plus complexe», ajoute-t-elle, pointant le rôle des milices qui fleurissent sur le chaos ambiant et l'aversion des Libyens pour ce qu'ils assimilent à des ingérences étrangères.
Les principaux acteurs politiques et militaires de la ville de Misrata - qui compte les groupes armés les plus puissants et influents dans l'ouest libyen - boycottent la réunion de Paris, après avoir exigé d'être traités d'égal à égal avec les quatre délégations, selon des sources politiques libyennes.
La France trop «pressée» ?
«Beaucoup dans l'ouest de la Libye voient l'initiative française comme une tentative de renforcer la position de Khalifa Haftar et d'en faire un acteur incontournable", relève Mohamed Eljrah, de la société de conseil Libya Outlook.
Un certain nombre d'acteurs réclament en outre la tenue d'un référendum constitutionnel définissant les pouvoirs du futur président - fonction qui n'existe pas aujourd'hui en Libye - avant tout scrutin présidentiel.
«La France est la seule qui tient à organiser les élections aussi vite», note Jalel Harchaoui, doctorant à l'université Paris VIII.
«Elle est pressée parce qu'elle a des critères de lecture non libyens, non arabes. Elle regarde par rapport à l'Italie, à la Russie, aux Etats-Unis», esquisse-t-il en référence à la course d'influence politique, économique et militaire dans ce pays.
Comme en juillet 2017, l'Italie, ancienne puissance coloniale et première terre d'accueil des vagues de migrants d'origine subsaharienne arrivant de Libye, semble peu goûter ce qu'elle assimile à un cavalier seul de Paris.
«C'est comme si Macron avait voulu profiter de ce moment d'absence politique italienne sur les dossiers libyens», en raison de la crise politique à Rome, écrivait le quotidien La Repubblica le 24 mai, citant des sources diplomatiques italiennes.
Dans un tel contexte, le centre de réflexion International Crisis Group (ICG) suggère de s'en tenir à une déclaration «ouverte» et sans engagements écrits à Paris. «Beaucoup trop de travail doit encore être fait pour qu'un effort visant à la stabilisation du pays aboutisse en Libye», estime l'ICG dans une note écrite.