Elles sont sans-abri, travailleuses pauvres ou étudiantes et partagent la même angoisse : chaque mois, elles se demandent où trouver l'argent pour acheter leurs protections hygiéniques. Encore taboue en France, la «précarité menstruelle» commence à être prise en compte par les autorités, bousculées par les associations.
«C'est un produit incontournable et pourtant, il m'arrive de me demander s'il n'est pas possible de faire l'impasse sur cet achat tellement c'est cher», raconte une étudiante parisienne qui souhaite rester anonyme.
Étudiante en droit, son unique ressource, c'est sa bourse d'étude, soit à peine plus de 500 euros par mois avec lesquels elle doit payer sa chambre de bonne, ses courses, son abonnement de téléphone et de métro. Alors, «les six à sept euros de serviettes chaque mois sont un vrai poids dans le budget», dit-elle le regard dans le vide.
Pour les associations, les femmes dépensent chaque mois entre cinq et sept euros en protections hygiéniques même si ces chiffres peuvent varier selon les cas. Signe de l'ampleur du phénomène, depuis le 1er avril, une mutuelle étudiante propose à ses adhérents de rembourser jusqu'à 25 euros par an de protections hygiéniques sur démonstration du ticket d'achat. Une première.
Habituellement présente dans les pays en voie de développement, cette forme de précarité existe aussi dans les pays riches, dont la France.
Infirmière dans un lycée de Seine-Saint-Denis, Claire en a fait le constat : «il y a quelques années, j'étais en poste dans un lycée en plein coeur de Paris et je n'avais quasiment aucune demande. Aujourd'hui, j'ai près de 400 demandes de serviettes hygiéniques par an. A cette échelle, ça pose un problème de budget, je ne peux plus gérer». Selon elle, «beaucoup de filles ont honte et n'osent pas aller voir l'assistante sociale car on est dans quelque chose qui touche à l'intime, de privé, que l'on veut garder secret».
Un «produit tabou»
Cette «barrière symbolique», qui empêche ces femmes de parler de leur situation, Brigitte Miché, coordinatrice des missions sociales aux Restos du cœur, en a été témoin.
Dans les centres où affluent les bénéficiaires de l'aide alimentaire, elle raconte avoir vu des femmes rebrousser chemin lorsque les bénévoles n'étaient que des hommes. Il y a aussi ces mères de famille qui lui chuchotent «vous reste-t-il des serviettes ?».
Les Restos font partie des rares associations alimentaires à distribuer des protections périodiques. «Nous en demandons lors des collectes mais très peu de gens ont le réflexe d'acheter un paquet de serviettes car c'est le produit tabou qu'on ne va pas oser acheter et donner», souligne-t-elle.
D'autres associations comme les Banques alimentaires refusent d'en distribuer arguant se limiter à la collecte de denrées alimentaires, alors que 70% de leurs bénéficiaires sont des femmes.
Pour Nadège Passereau, déléguée générale de l'association Agir pour la santé des femmes (ADSF), qui vient en aide aux femmes en situation de précarité, les protections hygiéniques sont «le premier produit demandé» car considérées comme «un produit de luxe».
Une fois par mois, l'association ouvre ses portes et distribue un kit sanitaire comprenant notamment des protections périodiques. «On en distribue entre 200 et 300 paquets par mois ce qui représente un coût entre 12.000 et 15.000 euros par an», décrypte-t-elle.
En quatre heures, une centaine de femmes défilent dans les locaux exigus de l'association. Parmi elles, Clarisse, une Congolaise de 32 ans qui vit dans un foyer pour femmes à Colombes et qui ne manquerait ce rendez-vous pour rien au monde. «Ca m'a changé la vie, ça coûte tellement cher !», dit-elle.
Près d'elle, Maria, à la rue depuis plusieurs mois raconte avoir dû, à plusieurs reprises, «mettre du papier toilette ou du coton» lors de ses règles : «Dans certains centres d'hébergement, on nous donne du savon, du shampoing mais pas de serviettes«.
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Pionnière dans la collecte de protections hygiéniques pour les femmes SDF, l'association Règles Élémentaires est parvenue en l'espace de deux ans à attirer le regard des pouvoirs publics sur ce phénomène resté dans l'angle mort des politiques publiques.
«En France, pays développé, on disait "ça ne nous concerne plus" mais en réalité, il y a de plus en plus de femmes qui ne sont pas en mesure d'acheter des protections hygiéniques et c'est très préoccupant», dénonce sa fondatrice Tara Heuzé.
Des «boîtes à dons» à Paris et Lyon
Grâce à la mobilisation des associations, la mairie de Paris à décidé d'installer des «boîtes à dons» où l'on peut déposer des protections qui seront ensuite redistribuées à des acteurs sociaux comme le Samu social. Pour l'heure, plusieurs mairies d'arrondissement (18e, 19e, 14e...) ont déjà sauté le pas. L'initiative a également fait des émules à Lyon.
L'Ecosse est allée encore plus loin en finançant en septembre dernier un programme pilote d'une durée de six mois, à Aberdeen, troisième ville du pays, permettant à des milliers de femmes pauvres de recevoir des protections gratuitement.
En France, le débat autour des protections hygiéniques avait défrayé la chronique en 2015, au moment des discussions sur le taux de TVA qui leur était appliqué. Grâce à la mobilisation de collectifs féministes, il avait été ramené à 5,5%. Pourtant, observe Tara Heuzé, «la baisse de la TVA n'a pas été répercutée sur les prix. Finalement, c'est un cadeau que l'on a fait aux marques», qui règnent sur un marché estimé à plusieurs milliards de dollars.