La clé de la réussite en entreprise ? Pour le Britannique Jon Kershaw, c'est simple : il suffit de savoir travailler avec les orques et les dauphins. Au Marineland d'Antibes, dans le sud-est de la France, ce directeur zoologique anime d'étonnants séminaires de management inspirés de ses 40 ans de carrière avec les cétacés.
Motivation, domination, organigramme : «Ce parallèle entre la nature et l'entreprise, ça intéresse tout le monde», souffle une participante captivée, tandis que Jon Kershaw, 64 ans, jongle avec les anecdotes.
Tout y passe pour expliquer «comment faire travailler des orques de 3.000 kg qui n'ont aucune raison de travailler ensemble, ni de travailler tout court, et sur lesquelles on n'a pas de pouvoir hiérarchique». «Personne ne leur envoie des mails et quand un jeune soigneur arrive, on ne peut pas dire à l'orque "tiens, je te présente Jean-Pierre, c'est lui le boss !"», s'amuse l'ancien soigneur.
Ce Britannique à l'humour décapant a plongé dans le monde des delphinariums à l'âge de 20 ans. Autant dire la préhistoire pour les parcs d'attraction marins et la connaissance des mammifères marins. A l'époque, il a une simple formation d'interprète, rien à voir avec le show qu'on lui demande de présenter avec des animaux : «On se disait, tout va bien, tant qu'il y a à manger, on les tient !», dit-il.
Rapidement pourtant, Jon Kershaw réalise que «le poisson, il en faut, mais ce n'est pas pour cela que les animaux agissent». Dans son séminaire, il lance : «Si vous jouez sur l'appétit pour créer la motivation, ça pose problème quand l'appétit a baissé - à 9h00 ça marche, à 15h c'est limite. C'est pareil en entreprise : combien de temps croyez-vous que durent les effets d'une augmentation de salaire sur la motivation ? Trois mois !»
Ce qui compte, c'est le challenge
C'est un psychologue employé d'un parc américain qui lui a ouvert les yeux : «Je ne connaissais pas mes orques», avoue Jon Kershaw. «A part le poids de nourriture qu'ils mangeaient (jusqu'à 80 kg par jour pour une orque, ndlr), je ne savais rien de leur place dans la hiérarchie ou de leur ego».
Or comprendre la situation de l'animal est primordial pour pouvoir travailler avec lui. Pour sa démonstration, il projette des images d'orques en milieu naturel. Cinq orques font équipe pour attraper des manchots. On les voit s'organiser, taper sur l'eau pour effrayer leurs proies, se donner un mal fou pour, à la fin, ne pas manger le manchot qu'elles ont attrapé.
«C'est comme le chat qui vous dépose une souris sur le paillasson, sans la manger. Pourquoi elles font ça ? Elles n'ont pas mangé, elles n'ont pas été payées...», interroge Jon.
«Ce qui compte, c'est le challenge», répond-il, et ça vaut aussi pour des salariés : «On a besoin de vider la dosette d'intelligence nécessaire à notre survie. Les personnes qui n'ont pas la possibilité de le faire au travail, en général, ils font autre chose à côté, du sport, etc. C'est donc important de bien connaître l'animal ou son collaborateur, de proposer le bon challenge.»
Pas de piston chez les cétacés
A mi-chemin entre pédagogie et stand-up, Jon Kershaw mime les situations et poursuit, intarissable. Ses conférences rapportent peu au Marineland d'Antibes, qui est le plus grand d'attraction marin d'Europe et l'un des sites touristiques les plus visités de la Côte d'Azur française.
Mais en ces temps de tourmente pour les delphinariums, sous pression depuis un arrêté français de mai 2017 interdisant la reproduction en captivité et régulièrement critiqués par les défenseurs des animaux, le parc mise sur ces conférences pour démontrer l'importance du relationnel avec les animaux. «Les animaux sont la priorité», si le courant ne passe pas, «on va ailleurs», confie Elodie, une soigneuse. L'apprentissage se fait par le renforcement positif : l'animal est stimulé et encouragé, sans nourriture comme récompense mais avec ce qu'il affectionne le plus, un jeu, des chatouilles, etc, expliquent les soigneurs.
On retiendra donc qu'il n'y a pas de promotion à l'ancienneté chez les cétacés, pas de piston, tout est affaire de dominance, «et je ne vous parle pas de violence physique», souligne Jon Kershaw : «Une fois que c'est bien établi, on peut l'utiliser, et passer par les dominants qui entraînent les autres derrière eux». Idem en entreprise, selon lui. Mieux vaut aussi pratiquer une «communication active» comme dans le monde animal, et savoir se passer de l'email.
«Il y a des inconvénients à travailler avec des animaux intelligents - tous les responsables en ressources humaines vous le diront, nous avons les mêmes ! L'avantage avec les animaux, c'est qu'ils sont cash. Faire la grosse voix avec eux, ça ne marche pas !», conclut-il.