«C'est vrai, transmettre la vie, c'est important! Il faut que ce soit un acte lucide, continuez» : par cette formule lapidaire, le général de Gaulle a donné, il y a 50 ans, son feu vert à Lucien Neuwirth pour qu'aboutisse son combat pour légaliser la contraception.
Longtemps, le chef de l'Etat y a pourtant été hostile. En 1965 de Gaulle, partisan d'une politique nataliste, avait été choqué que le candidat de gauche, François Mitterrand, ose inscrire la libéralisation de la pilule à son programme électoral.
«La pilule ? Jamais... On ne peut pas réduire la femme à une machine à faire l'amour», répond le général à Alain Peyreffite, jugeant que «si on tolère la pilule, le sexe va tout envahir».
«Parlez-moi de votre affaire...»
C'est dire si le député Neuwirth est peu sûr de la réponse lorsqu'il vient exposer son projet au général en 1966 : «Alors Neuwirth, parlez-moi de votre affaire...», lui lance le général.
C'est en exposant, 45 minutes durant, la misère des femmes, mères malgré elles, et les horreurs de l'avortement clandestin que le député finit par emporter l'adhésion présidentielle, avait-il raconté à l'AFP avant sa disparition en 2013.
Cet élu de la Loire connaît bien le chef de l'Etat, qu'il a rejoint à Londres en 1942. C'est dans la capitale britannique que le jeune résistant a découvert le contraceptif féminin «gynomine» qui y est en vente libre. Il en devient le fournisseur attitré auprès de ses amis de la France libre, gagnant le surnom de «Lulu la pilule».
Quelques mois avant mai 68 et sa révolution des moeurs, le «oui» discret du général ne met pas un terme à l'hostilité de nombreuses personnalités, à commencer par «Tante Yvonne», l'épouse du président, les associations catholiques ou l'ordre des médecins.
Soutenu par la gauche et le planning familial, M. Neuwirth fait l'objet d'attaques violentes au sein de son propre camp, où il est traité de «fossoyeur de la France» et «d'assassin d'enfants».
Le 1er juillet 1967, sa proposition pour abroger une loi nataliste qui depuis 1920 réprime la contraception, est enfin mise en discussion à l'Assemblée.
Le texte de 1920 était «une loi de circonstance faite pour compenser la terrible hémorragie causée par la première guerre mondiale», plaide M. Neuwirth. «L'heure est désormais venue de passer de la maternité accidentelle à une maternité consciente et pleinement responsable».
Les adversaires de la pilule brandissent la menace d'une baisse de la natalité, redoutent un relâchement des moeurs et la «nocivité» des méthodes contraceptives.
«La pilule est dangereuse»
«La pilule est dangereuse» clame le médecin et député gaulliste Jacques Hébert, soulignant l'absence de recul sur les effets à long terme de ce produit récent, les premières pilules datant du début des années 60.
Son collègue de l'UDR, Jean Coumaros s'inquiète du «pouvoir absolu» que les femmes vont acquérir sur leur fécondité et tente, en vain, d'introduire un amendement pour que la prescription de la pilule soit «faite en accord avec le mari».
Le 19 décembre 1967, la proposition est définitivement votée dans une version édulcorée. Pour la faire adopter, M. Neuwirth use d'un stratagème : un vote nocturne, à main levée, qui permet de ne pas afficher les noms des opposants et des partisans. Toute la gauche vote pour tandis qu'à droite, les bancs sont très clairsemés.
De Gaulle promulgue la loi le 28 décembre, mais il faut attendre 1969 pour que les premiers décrets soient publiés et 1974 pour que la pilule soit remboursée par la sécurité sociale.