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La semaine de Philippe Labro : «L’ordre» de Vuillard, le désordre de Trump

Lorsque Didier Decoin, à 12h45, a révélé le nom d’Eric Vuillard et de son Ordre du jour (éditions Actes Sud), un joli frisson a parcouru l’univers du livre.[AFP]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

LUNDI 6 NOVEMBRE

C’est le jour clé pour tout un monde. Il n’est pas étroit, ce monde – c’est celui de l’édition, des libraires, et, surtout, tellement plus vaste, celui des lectrices et des lecteurs. Et nous avons la chance, en France, d’en compter des millions. Le livre existe, persiste, survit à toutes les technologies nouvelles, à la réduction du temps et de l’espace, aux querelles sur la langue, aux 280 caractères de Twitter qui en remplacent 140, à tout ce qui pourrait nuire à notre tradition littéraire. Aussi bien, les annonces, aujourd’hui, du Goncourt et du Renaudot, créent toujours l’événement. Oh ! certes, moins qu’autrefois. Il n’empêche : lorsque Didier Decoin, à 12h45, a révélé le nom d’Eric Vuillard et de son Ordre du jour (éditions Actes Sud), un joli frisson a parcouru l’univers du livre. Et, très vite, une grande satisfaction, une sorte d’unanimité. Lors de sa parution, il y a quelques mois, ce récit-roman de 160 pages en avait impressionné quelques-uns. Je me souviens du conseil d’un ami qui lit beaucoup : – Lis L’ordre du jour. C’est remarquable. Je ne l’avais pas écouté. Erreur. Je la répare, le dimanche 5, veille du prix, alerté par une rumeur qui fait de Vuillard, un des quatre sélectionnés restant en lice, un outsider possible. J’achète le bouquin et le lis, avec passion et étonnement, en quelques heures, subjugué par le style, la construction, la brillante approche de la montée du nazisme avec la prise en main des capitalistes allemands par un Hitler qui les magnétise. – Ce n’est pas un Goncourt, ai-je alors dit, bêtement, à mon ami.

C’est presque trop talentueux, trop littéraire, pas forcément grand public. Or, les Goncourt recherchent souvent l’ouvrage qui attirera le plus grand nombre. Eh bien, voici, belle et rassurante nouvelle, que Vuillard l’emporte au troisième tour, par 6 voix contre 4. Et vous ne trouverez, dès lors, nulle part, à aucun moment de cette journée, pas plus que le lendemain, une seule réaction négative, un seul rejet de ce choix d’un jury d’écrivains. Car, ne l’oublions pas, ce sont dix écrivains autour de la table de délibération qui savent donc, mieux que personne, distinguer le vrai talent, s’incliner devant l’invention et la réflexion, le sens de l’image, de la description, et le déroulement d’un récit qui raconte comment l’Allemagne et l’Europe ont été assez dupes et lâches pour laisser Hitler annexer l’Autriche et tétaniser un monde faible et peureux. Vuillard possède un don singulier pour réécrire l’Histoire, en une courte et fulgurante succession de séquences et personnages qui fascinent et révulsent.

MERCREDI 8 NOVEMBRE

Ça y est, de partout, là encore, l’unanimité s’empare des médias : on dresse le bilan d’une année de Trump au pouvoir. Les adjectifs violents et les jugements sévères déferlent à la même cadence que ceux, tweetés chaque nuit, par ce président des Etats-Unis qui a totalement détérioré la fonction. Quelques observateurs plus pondérés opposent une vérité fondamentale : – Vous aurez beau dire ce que vous voulez, il est au pouvoir, il mobilise et rassure son électorat de base. Ne sous-estimez jamais cette «Amérique profonde» à laquelle Trump sait faire toutes les concessions possibles. Dites-vous qu’il est là, à la Maison Blanche, et qu’il est, au moins jusqu’aux élections de mi-mandat de 2018, probablement incontournable. L’Histoire – celle, fatale et imprévisible que décrit si bien Vuillard – nous attend tous au coin du bois. A sa ­manière, Donald Trump impose son «ordre du jour». Toute la question est : jus­qu’à quand ?

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