C'est un fait. Depuis plusieurs années, les rats bruns – dits «d'égout» – sont de plus en plus présents dans les squares et les jardins parisiens. Pourquoi ? Peut-on l'expliquer ? Nous avons posé la question à des spécialistes du sujet.
D'emblée, il faut rétablir une vérité : les rats ne sont pas plus nombreux à Paris aujourd'hui, qu'il y a quelques années. Ils ont toujours été là, et le seront probablement toujours. Pour bien comprendre, il faut d'abord s'intéresser aux habitudes de vie du rat. Selon Jean-Michel Michaux, directeur pédagogique de l'Institut scientifique et technique de l'animal en ville (ISTAV), «ce petit rongeur a besoin de trois éléments essentiels : un terrier, de l'eau et des vivres».
«Quand ils ont faim et en fonction de leurs ressources, leur nombre est donc plus ou moins important», explique ce docteur-vétérinaire, enseignant à l'Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort (94). Or, les jardins parisiens leur procurent tout ce dont ils ont besoin pour leur survie : de la terre, des flaques d'eau, et des restes laissés par le goûter des enfants. Pour lui, trois raisons expliquent ensuite la présence en nombre de ces surmulots : l'interdiction des produits de dératisation, la remise à niveau des égouts de Paris, la destruction des immeubles parisiens.
Les produits de dératisation interdits
Il y a encore quelques années, il était coutume de tuer les petits rongeurs avec de la mort aux rats ou grâce à des appâts empoisonnés laissés à proximité du terrier. Mais «ces deux techniques ont été interdites pour des questions de santé publique», explique Jean-Michel Michaux, qui souligne en effet que le risque était que ces produits – «de puissants coagulants» – soient ingérés par les enfants qui jouent dans les parcs. Ainsi soumise à une règlementation très stricte, la mairie de Paris – qui a lancé en décembre 2016 un vaste de plan de dératisation – a donc du faire avec les moyens (techniques) du bord. Le docteur Georges Salines, chef du service de santé environnementale de la mairie de Paris (SPSE) et chargé de ce plan, décrit son attirail : «une boite à appâts, conçue pour ne pas empoisonner les autres animaux et un autre piège, dans lequel le rat meurt noyé dans du liquide alcoolisé». Dans les deux cas, le rat «très intelligent» se méfie, et à terme, ne se fait plus avoir.
La remise à niveau des égouts de Paris
Pour Jean-Michel Michaux, la présence des rats en surface s'explique également par l'amélioration régulière de la qualité du réseau des égouts parisiens. «Avant, ils trouvaient de l’eau et de la nourriture dans les égouts, et comme les réseaux n’étaient pas vraiment étanches, ils pouvaient y faire leurs terriers. Mais depuis, il y a eu un gros travail de remise à niveau à Paris», témoigne-t-il, confirmant qu'il y a moins de rats en sous-sol, «au moins en ce qui concerne la partie qui appartient au domaine public».
La destruction des immeubles parisiens
Car, en revanche, «dans les parties privatives, et plus particulièrement dans celles des vieux immeubles, les colonnes descendantes sont usées et permettent la création de terriers», explique Jean-Michel Michaux. Mais une nette amélioration des canalisations, ainsi que des caves et des parkings des nouveaux immeubles parisiens – désormais bétonnés et hermétiques – tend à empêcher l'installation des rats en sous-sol. Ainsi, «lorsqu’un immeuble est détruit, la terre est creusée et tous les terriers sont supprimés», témoigne le vétérinaire. Naturellement, les rats sortent de l’immeuble, envahissent le quartier, et «deviennent nuisibles tant qu'ils n'auront pas trouvé de nouveaux points de chute». Une expérience vécue récemment pendant l'immense chantier de réhabilitation du quartier des Halles, à Paris. Selon lui, «c'est un phénomène temporaire mais qui explique certaines périodes de recrudescence».
Pour le docteur Georges Salines, il n'existe donc pas «de solution miracle» pour stopper la prolifération des rats, «créée artificiellement par l'homme». En effet, tant que «le bon sens» et «le comportement citoyen» n'auront pas l'avantage sur les incivilités. Car il va sans dire que jeter des ordures au sol, en rajouter dans des poubelles qui débordent contribuent à faciliter la vie des rats bruns.
Un constat partagé par Jean-Michel Michaux qui parle même de «manque de moyens». Pour lui, il n'y aura pas de solution tant que de nouvelles techniques adaptées ne seront pas développées. «Il faut imaginer un plan d’action qui utilisera plusieurs moyens – avec moins d'eau, moins de nourriture et de nouveaux produits raticides», énumère-t-il, avant de conclure, «la stratégie monoproduit n'est plus la bonne».