Les députés reprennent la main cette semaine en commission sur le controversé projet de loi antiterroriste destiné à remplacer, au 1er novembre, le régime exceptionnel de l'état d'urgence en adaptant dans le droit commun certaines de ses mesures, que l'exécutif veut encore étoffer.
Devant la commission des Lois mardi après-midi, le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb a défendu «un texte équilibré» adaptable «à la marge» en argumentant pour un retour à la version initiale, restreinte en partie en juillet par le Sénat, avant que les députés n'examinent environ 250 amendements mercredi.
Le texte sera au menu de la session extraordinaire à partir du 25 septembre.
Une «loi nécessaire»
«La menace reste encore forte», a-t-il affirmé. «Nous voyons que nous passons d'une menace exogène à une menace endogène et il faut pouvoir nous adapter à l'évolution de cette menace», a-t-il complété en faisant la liste des 12 attentats déjoués depuis le début de l'année 2017.
L'un des points les plus sensibles du texte, y compris dans la majorité, est la possibilité pour le ministère de l'Intérieur d'imposer, pour une durée de trois ou six mois renouvelables, des mesures de surveillance à l'encontre d'individus soupçonnés d'avoir un lien ou une sympathie avec la mouvance terroriste.
M. Collomb veut ainsi imposer aux personnes assignées (dans un périmètre qui sera au minimum le territoire de leur commune, et non plus réduit à leur domicile comme sous l'état d'urgence) un pointage quotidien, mesure que les sénateurs avaient limitée à trois pointages hebdomadaires.
«On ne peut pas prendre le risque de perdre de vue un individu dangereux pendant trois jours», plaide le ministre, qui entend également «rétablir la mesure obligeant les personnes ciblées à fournir tous leurs numéros de téléphone et identifiants de communication électronique».
Si elle défend une «loi nécessaire», l'ex-magistrate Laurence Vichniesky, au nom du MoDem, a exposé à l'AFP «un point de divergence de principe» sur ces mesures. Elle souhaite soumettre la prolongation «à l'aval d'un juge judiciaire» (au lieu du contrôle a posteriori du juge administratif), «garant de la liberté d'aller et venir».
Le ministre compte compléter son texte d'un volet radicalisation pour permettre de «muter et radier un fonctionnaire radicalisé lorsqu'il exerce des missions de souveraineté ou un métier en lien avec la sécurité». Il veut également pouvoir fermer un lieu de culte au motif des «idées» et «théories» qui y seraient diffusés, pas seulement des «écrits» ou «propos tenus».
Les Insoumis ont déposé un amendement de suppression de cet article (comme sur de nombreux autres), y voyant «le basculement vers une société du soupçon généralisé» comme plusieurs organisations, dont le syndicat de la magistrature ou le défenseur des droits Jacques Toubon, dénonçant la mise en place d'«un état d'urgence permanent».
Contrôles d'identité renforcés
Le rapporteur Raphaël Gauvin (LREM) va en revanche dans le sens du Sénat en limitant à fin 2020 l'application de ces dispositions (le Sénat a proposé 2021), tout comme celles permettant des perquisitions et des saisies, pour pouvoir en faire l'évaluation comme promis par Emmanuel Macron.
Les députés LREM défendent un texte «nécessaire, responsable, et courageux». Ils voudraient néanmoins, contre l'avis du gouvernement, que «les mesures prises dans les phases anté-judiciaire ne soient pas renouvelables indéfiniment», selon Alain Tourret, que «perturbe» une succession de textes antiterroristes qui «amoindrissent les espaces de liberté».
Les Républicains semblent sur une position plus dure que la droite sénatoriale. Par l'intermédiaire d'Éric Ciotti et de Guillaume Larrivé, soutiens de Laurent Wauquiez, ils ont déposé de nombreux amendements pour maintenir l'état d'urgence, renforcer les pouvoirs de police administrative ou durcir les peines.
Dans sa quinzaine d'articles, le projet de loi prévoit aussi de transposer la directive européenne sur le contrôle des données des passagers aériens (PNR), et instaure un système similaire pour les transports maritimes.
La Cimade s'est par ailleurs inquiétée mardi de l'extension des possibilités de contrôle d'identité dans les zones frontalières. Cela reviendrait selon elle à les rendre possible sur «quasiment tout le territoire», au risque d'un «contrôle au faciès» à des fins de lutte contre l'immigration clandestine ; une interprétation jugée «abusive» par l'entourage du ministre qui assure que «les contrôles au faciès ne sont pas autorisés».