Emmanuel Macron l'a répété à plusieurs reprises au cours de la campagne, il souhaite réformer le droit du travail le plus rapidement possible, quitte à utiliser des ordonances.
En d'autres termes, le nouveau président de la République se passerait bien du Parlement pour légiférer, dès cet été si possible. Mais c'est loin d'être aussi simple. Explications.
Une disposition autorisées par la Constitution
En droit, cela consiste littéralement à ce que le Parlement confie pour des domaines déterminés le soin au gouvernement de légiférer à sa place pendant un certain temps. Sous la Ve République, la technique n'est pas nouvelle. Héritée des pratiques de la IIIe et IVe République, ce recours est inscrit dans la Constitution.
L'article 38 dispose que «le Gouvernement peut […] demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi».
En pratique, le Parlement vote une loi dite d'habilitation dans laquelle figure la matière pour laquelle il confie son pouvoir législatif ainsi qu'une date limite pour le dépôt d'un projet de loi en bonne et due forme qui ratifie les dispositions prises. Les ordonnances sont ensuite formellement prises en Conseil des ministres «après avis du Conseil d'Etat». Une fois qu'elles sont signées par le Président de la République, elles entrent en vigueur.
Une majorité nécessaire
Mais cela signifie bien sûr que le Parlement et le gouvernement soient acquis à la majorité, ce qui est loin d'être garanti au vu de la situation actuelle. Car si, suite aux législatives, l'Assemblée nationale n'est pas majoritairement du côté d'Emmanuel Macron, il y a peu de chances qu'elle vote la loi d'habilitation nécessaire à tout passage de loi par ordonnance.
En cas de cohabitation entre le Chef de l'Etat et son Premier ministre, les ordonnances sont également presque inenvisageables, puisque c'est le Gouvernement qui d'une part demande l'autorisation au Parlement de légiférer par ordonnance et d'autre part prend les ordonnances lors du Conseil des ministres.
Et si Emmanuel Macron parvient à passer ces deux obstacles, l'ordonnance doit encore être ratifiée, c'est à dire votée, par le Parlement avant de devenir une loi.
Une pratique de plus en plus courante
Au début de la Ve République, les gouvernements successifs ont utilisé avec parcimonie cet instrument. Méconnu par l'opinion, il est pourtant de plus en plus utilisé depuis la fin des années 1990.
Une étude publiée par le Sénat en 2008 donne la mesure du phénomène. Entre 1984 et 2003, le Parlement n'a donné que 29 fois son habilitation au gouvernement, donnant lieu à 155 ordonnances. Entre 2004 et 2007, ce furent 38 lois pour 170 ordonnances. A titre d'exemple, 83 ordonnances furent signées pour la seule année 2005. Un vrai changement de braquet.
Du temps de travail à la vente de médicaments sur Internet
Les ordonnances concernent bien souvent l'application de la loi aux collectivités d'outre-mer ou la transposition de directives européennes sur lesquelles les débats parlementaires sont peu pertinents. Mais pas que. Depuis 2003, les ordonnances ont réglé par exemple le régime juridique des OPCI (Organisme de placement collectif en immobilier), des dispositions en matière de droit du travail et même des ajustements au code électoral ou au code des impôts.
Durant son quinquennat, François Hollande a signé plus de vingt ordonnances relatives par exemple à la «durée du travail des conducteurs indépendants du transport public routier», au «système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre», à «l'encadrement de la vente de médicaments sur internet» ou encore aux «formalités déclaratives applicables aux navires à l'entrée et à la sortie des ports maritimes».
Un nouveau canal législatif ?
L'outil peut tout de même se révéler dangereux. Car sous couvert d'urgence, la «démission» parlementaire tend à se prolonger ces dernières années. Alors qu'entre 1984 et 2001, le délai imparti par les lois d'habilitation oscillait en général entre trois et neuf mois, ils s'étend depuis le début des années 2000 jusqu'à 24 mois parfois, avec de plus en plus fréquemment des lois prolongeant l'habilitation.