Trente-neuf ans, sans parti et jamais élu auparavant, le centriste Emmanuel Macron a surgi dimanche en tête du premier tour de la présidentielle française, avec la ferme intention de bousculer les clivages traditionnels.
«On tourne clairement aujourd'hui une page de la vie politique française», a commenté dimanche soir le candidat «ni de droite ni de gauche» après l'annonce de sa qualification pour le second tour du 7 mai. «Les Français ont exprimé leur désir de renouvellement. Notre logique est désormais celle du rassemblement». Accueilli avec une certaine condescendance par les politiques professionnels de tous bords, raillé pour le flou présumé de son projet, l'ex-ministre de l'Économie du président socialiste François Hollande (août 2014-2016) s'est félicité dimanche soir dans son discours devant ses partisans d'avoir «changé le visage de la vie politique française».
Encore inconnu il y a quelques mois, celui qui veut devenir le «président des patriotes face à la menace des nationalistes» est parti en campagne sans expérience élective, a rejoint le peloton des favoris, puis est arrivé en tête du premier tour en faisant le pari de «changer de logiciel». Porté par les déboires du candidat de la droite François Fillon - inculpé à la suite d'un scandale d'emplois familiaux présumés fictifs -, ce nouveau venu au physique de gendre idéal a progressivement grimpé dans les sondages. Il affrontera le 7 mai au second tour la patronne de l'extrême droite, Marine Le Pen, 48 ans.
Pur produit des écoles de l'élite française, cet ancien banquier d'affaires est entré en politique en 2012 comme conseiller du président Hollande. De cette expérience dans l'ombre du pouvoir, suivie de deux années au ministère de l'Économie, il dit avoir tiré un enseignement majeur : le «dysfonctionnement» du système politique actuel. «Je pense que Macron a eu l'intuition, précisément parce qu'il était extérieur à la vie politique traditionnelle, que les partis de gouvernement avaient créé leurs propres faiblesses, avaient perdu leur propre attractivité, étaient, pour reprendre un vieux mot, usés, fatigués, vieillis», a confié François Hollande à son sujet.
Cette intuition pousse le jeune ministre à fonder début 2016 son mouvement, baptisé En Marche! - ou EM comme ses initiales - qui revendique désormais quelque 260.000 adhérents. Ils étaient des milliers, dont de nombreux jeunes, réunis dimanche soir dans une salle parisienne, à crier «Macron président !» et à se féliciter du succès de leur candidat et des perspectives de renouvellement de la classe politique. Après sa démission du gouvernement et sa candidature à la présidentielle, Emmanuel Macron a présenté un programme d'inspiration sociale-libérale.
Renouvellement
Son fil rouge : réconcilier «liberté et protection», en réformant l'assurance-chômage ou en proposant des mesures de discrimination positive à l'intention des quartiers en difficulté. Son coeur de cible: les classes moyennes, qu'il juge "oubliées" par la droite et la gauche. Son discours transpartisan, libéral en termes d'économie et de société, plaît aux jeunes urbains et aux milieux d'affaires. Il séduit moins les classes populaires ou rurales, rétives à la mondialisation qu'il défend. Ses détracteurs le décrivent en «illusionniste» plein de «contradictions».
Coutumier des envolées oratoires en meeting, cet amateur des belles lettres qui aime citer les poètes, se voit régulièrement reprocher par ses détracteurs son passé de banquier, qu'il assume pleinement. «Je suis un guerrier, un battant, je ne suis pas un homme de regrets», a-t-il lancé jeudi. Ainsi, il assume «totalement» d'avoir qualifié la colonisation de «crime contre l'humanité», propos qui lui ont valu les foudres de la droite et l'extrême droite.
Au plan international, il s'est efforcé de muscler sa stature avec un déplacement au Liban fin janvier et une rencontre avec la chancelière allemande Angela Merkel, mi-mars à Berlin. Il suscite en Allemagne intérêt et sympathie. Et à trois jours du scrutin il a bénéficié d'un appel téléphonique de l'ancien président américain démocrate Barack Obama qui a fait savoir qu'il avait «apprécié» l'échange, selon son porte-parole, sans pour autant lui apporter un soutien officiel. A l'inverse de ses concurrents, il affiche sa vie privée et mène campagne avec son épouse Brigitte, son ancienne professeure de français de vingt-quatre ans son aînée.