Dans un climat rendu électrique par les attentats et les polémiques, l'État et les représentants musulmans ont relancé lundi le chantier de construction d'un "islam de France" à travers une fondation laïque et une association cultuelle garanties sans financements étrangers.
La séquence et la photo étaient attendues après un été marqué par les attaques jihadistes de Nice et Saint-Étienne-du-Rouvray, sans parler du feuilleton sur le burkini qui agite la rentrée politique à huit mois de l'élection présidentielle. Le bureau élargi du Conseil français du culte musulman (CFCM) était là au grand complet. Des personnalités politiques, culturelles et du monde de l'entreprise avaient aussi été conviées Place Beauvau pour cette "journée de consultations sur l'islam de France".
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"Une réserve de talents", a souligné le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, désireux d'élargir le dialogue à la société civile musulmane. Comme prévu, une fondation d'utilité publique, laïque, sera créée à l'automne et présidée par l'ex-ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement, 77 ans. A ses côtés siègeront notamment l'écrivain Tahar Ben Jelloun, l'islamologue Ghaleb Bencheikh, le recteur de la mosquée de Lyon Kamel Kabtane et la cadre d'entreprise Najoua Arduini-Elatfani.
"C'est une oeuvre de longue haleine", a prévenu Jean-Pierre Chevènement, en rappelant avoir travaillé à la construction d'un "islam de France" dès 1997. Bernard Cazeneuve a lui évoqué une "nouvelle étape" présentant "un caractère d'urgence et de nécessité particulier", vu le contexte, pour "créer les conditions d'une relation forte et apaisée entre la République et les Français de confession musulmane".
Une fondation pour les projets profanes
La fondation doit permettre de lever des financements pour des projets en matière profane (thèses de recherche sur l'islam, bourses d'études...). Laïcité oblige, le volet religieux (formation théologique des imams, construction de mosquées...) sera entre les mains d'une association cultuelle (loi de 1905) administrée par des musulmans.
Ni la fondation laïque ni l'association cultuelle qui lui sera adossée ne seront autorisées à recevoir des financements étrangers (hors Union européenne), souvent critiqués - même s'ils sont très minoritaires - car jugés difficilement compatibles avec le projet d'un islam républicain.
"Journée historique"
Des financements étrangers, ne transitant pas par ces deux structures, seront toujours possibles, mais l'Intérieur parie sur leur recul avec la mise en place du nouveau schéma. Beauvau espère également le passage progressif sous statut loi 1905 de la plupart des mosquées - beaucoup sont gérées par des associations loi 1901 - afin que leurs comptes soient certifiés, donc plus transparents.
Un groupe de travail doit être mis en place "dès les jours prochains" pour déterminer les statuts et la composition de l'association cultuelle, et engager une négociation avec la filière halal en vue d'une "contribution volontaire" - et non une taxe, juridiquement inenvisageable - sur ce marché important. En outre, Bernard Cazeneuve veut avancer sur la formation des imams, en créant des enseignements de haut niveau en islamologie, "rigoureusement laïques", dans plusieurs universités.Un rapport est attendu sur ce point en décembre.
Objectif: des imams mieux formés en France pour se passer, "à terme", de ceux "détachés" par des pays étrangers (actuellement 300 environ). Mais pourquoi la nouvelle fondation réussirait-elle là où la "fondation des oeuvres de l'islam de France" qu'elle va remplacer, mort-née en 2005 en raison de dissensions internes, a échoué? "La gravité des défis nous commande de travailler dans l'unité", assure le président du CFCM, Anouar Kbibech, évoquant, à l'unisson de Ghaleb Bencheikh, une "journée historique".
Rompant avec cet unanimisme, le consultant Hakim El Karoui, l'un des récents signataires de "l'appel des 40" musulmans "prêts à assumer leurs responsabilités", a estimé dans la cour de Beauvau que la nomination de Jean-Pierre Chevènement, "pas musulman ni spécialiste de culture islamique", constituait "pour le moins une maladresse". "On nous a dit qu'il avait un rôle de +préfigurateur+ et qu'il n'avait pas vocation à rester longtemps", s'est-il rassuré. Mais lui et d'autres personnalités de la société civile n'ont manifestement pas l'intention de faire de la figuration dans ces nouvelles instances de l'islam. "Si on perd notre temps, on partira", prévient-il.