Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
LUNDI 27 JUIN
Ils sont venus avec le vent qui souffle parfois un peu froid pour la saison. Ils sont venus vêtus de bleu, comme leurs joueurs. Bleus, aussi, les yeux. Et blonde, la chevelure. Ils vont de stade en stade, de jour en jour, frapper dans leurs mains, lever les bras, chanter dans une langue incompréhensible pour soutenir leurs joueurs. Ce sont les Islandais, phénomènes de fraîcheur, d’inédit. Quel que soit le résultat de leur confrontation avec la France, dans quarante-huit heures, les Islandais auront marqué une compétition, qui va bien au-delà du simple spectacle de vingt-deux hommes en train de se battre pour qu’un ballon rond pénètre dans un carré défendu par un homme qui porte de gros gants et qui est le seul à avoir le droit de se servir de ses mains.
A lire aussi : L’Islande, le pays des sans noms de famille
Ça va plus loin que cela, l’Euro, puisque, en un moment où les nationalismes (Brexit, Brexit !) n’ont jamais été autant invoqués, on assiste à l’expression des caractères nationaux. On voit aussi bien sur les pelouses que dans les gradins remplis de supporters ce qui fait la nature d’un pays. L’exubérance des Latins, la discipline des Allemands, la fierté des Irlandais, tous ces clichés qui se vérifient. Et puis, il y a cette minuscule nation dont le nombre d’habitants ne dépasse guère celui de la ville de Nice, et qui nous étonne, nous épate, nous amuse, nous interroge.
L’Islande nous étonne parce qu’avec un effectif de vingt-trois joueurs (sur un nombre de cent professionnels seulement !), son équipe vient d’éliminer le pays qui a inventé le football, et dont le championnat, la fameuse Premier League, est le plus suivi dans le monde : l’Angleterre. Pierre Ménès vous dira mieux que moi leurs qualités techniques. Je m’en tiens à leurs qualités d’hommes : pugnacité, solidarité, inépuisable énergie, volonté et culot, du carburant dans les jambes, du stoïcisme dans les duels (on se relève vite, on ne gémit pas trop, on encaisse et on distribue), une franche et sympathique fureur d’être.
A lire aussi : De drôles de quarts, par Pierre Ménès
Désormais, le pays qui compte plus de volcans que de terrains de foot est devenu le sujet favori de nos médias. Les Islandais sont partout dans la presse française et à la télé, ils vous forcent à la même interrogation : pourquoi ? Je ne trouve la réponse que dans la personnalité du seul Islandais que je connaisse assez bien ; il s’agit du mari d’une amie de mon épouse. Il se prénomme Gauti. Il est grand, musclé, épais, éblouissant de joie de vivre et d’amour de la nature, c’est un entrepreneur qui a réussi dans l’univers du meuble par sa capacité de convaincre, son exceptionnelle endurance. A chacune de nos rencontres, il nous invite à venir sur son île – on y chassera, on y pêchera. On prendra un hélico et on survolera les volcans et les rivières.
Je l’appelle à la mi-temps du match contre l’Angleterre. Il exulte. Je lui demande où donc ses compatriotes en maillot sur le terrain ont puisé leurs ressources. Il éclate de rire :
– On en parlera plus tard, rappelle-moi tout à l’heure.
– Attends, attends, lui dis-je, vous allez tenir encore une mi-temps comme ça ?
– Evidemment, me répond-il.
Au coup de sifflet final, alors que les commentateurs vont chercher dans leur vocabulaire tous les adjectifs possibles pour définir cette «incroyable» victoire, je retrouve un Gauti exalté :
– Tu vois, je te l’avais dit. On est comme ça.
– Tu viens à Paris pour le match contre la France ?
– Evidemment, j’ai pris mon billet. «Evidemment», le mot-clé.
Je pense alors à une phrase de Gauti, au cours de notre dernier dîner lors de son passage à Paris :
– On est grand parce qu’on est petit.