Il y a vingt ans, le Raid lançait son assaut contre les "islamo-braqueurs" du "Gang de Roubaix".
Il est 6h, le 29 mars 1996, dans le quartier de l'Alma à Roubaix (Nord), lorsque l'unité d'élite donne l'assaut contre la bande criminelle dont le parcours trouve résonance aujourd'hui après les attentats jihadistes en France et en Belgique.
Vingt ans plus tard, au 59, rue Henri Carette, dans ce quartier populaire, à forte population issue de l'immigration, on ne trouve que quelques places de parking. Difficile d'imaginer que ce fut-là le théâtre d'une action sanglante du Raid, se soldant par la mort de quatre des dix membres du gang. "J'allais au travail et je voyais des policiers partout, je me demandais ce qui se passait", se remémore Pierre, un riverain, expliquant que les maisons défoncées sont restées plusieurs années à l'abandon avant la construction du parking en 2011.
Des hold-up aux attentats
Du 27 janvier au 8 février, plusieurs hold-up et braquages ultra-violents avec armes de guerre ont lieu dans la métropole lilloise, une fusillade faisant un mort à Roubaix. Mais "après le 8 février, ça s'arrête net. On le saura après : deux à trois sont repartis en Bosnie, avec leur maigre butin pour acheter de l'armement lourd et faire quelque chose d'encore plus sérieux", se souvient Romuald Muller, ancien chef de la brigade criminelle de Lille.
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Le 25 mars, un fourgon de la Brinks est ainsi attaqué à Leers au lance-roquettes, à la Kalachnikov et à la grenade. Le 27, les enquêteurs réalisent que des membres du gang ont fait un aller-retour à Molenbeek, aujourd'hui fief présumé du djihadisme en Europe. Le 28 mars, la violence monte encore d'un cran : un attentat à la voiture piégée, garée devant l'ancien commissariat, est évité de justesse, à quelques jours d'une réunion du G7 dans la capitale des Flandres.
Cette tentative manquée précipite l'assaut du Raid. Quatre des malfaiteurs, tous issus de la jeunesse roubaisienne immigrée du Maghreb et de Turquie, meurent dans l'effondrement et l'incendie de la maison provoqué par des grenades qu'ils avaient lancées.
Il y a 20 ans, le gang de Roubaix. https://t.co/8hUI50x09c pic.twitter.com/ZgvadxttrY
— NordEclairRoubaix (@NordEclairRbx) 28 mars 2016
Des convertis dans le gang
Le jour de la fusillade, Jean-Louis Debré, alors ministre de l'Intérieur, explique pourtant que cette affaire relève du "grand banditisme" et nullement "du terrorisme" ou de "l'islamisme". Les spécialistes de la lutte antiterroriste, eux, sont dépités d'être tenus à l'écart de l'enquête, persuadés qu'il ne s'agissait pas de simples délinquants de droit commun, mais bien des partisans d'un islam radical.
Parmi les dix membres de la bande, figurent en effet deux convertis, surnommés parfois "les ch'tis d'Allah", nés dans des familles catholiques ouvrières: Lionel Dumont et Christophe Caze, tué le lendemain en Belgique lors de sa fuite et considéré comme le "cerveau" du groupe.
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"C'est une des premières fois que la question des convertis se pose, alors qu'aujourd'hui elle est importante vu le nombre de départs de Français vers des terrains de combat", argue Antoine Mégie, maître de conférence en sciences politique à l'université de Rouen et spécialiste de la lutte contre le terrorisme. La route du "gang de Roubaix" épouse en effet celle de la Bosnie, où plusieurs membres ont combattu dans les rangs des moudjahidine de Zenica en 1994 et 1995, des soldats de l'islam venus combattre les Serbes aux côtés de l'armée bosniaque.
"Au confluent entre grand banditisme et terrorisme islamiste"
Le politologue Gilles Kepel, dans son ouvrage "Passion française" (Gallimard), rappelle, lui, "qu'après les accords de Dayton de décembre 1995 (mettant fin à la guerre en Bosnie, ndlr), Caze et Dumont s'étaient recyclés dans le djihad sur le territoire français".
"Au confluent entre grand banditisme et terrorisme islamiste, ils prolongeaient à leur manière frustre l'épopée meurtrière de Khaled Kelkal, abattu quelques mois auparavant le 29 septembre 1995 dans la banlieue lyonnaise". Selon le chercheur, ils "anticipaient l'affaire Merah" en 2012, "après seize années qui avaient marqué une longue pause du terrorisme jihadiste dans l'Hexagone".
Sur les dix membres du "gang", quatre sont tués lors de l'assaut, un est tué le lendemain, deux sont incarcérés, deux ont été libérés au début des années 2010 et un n'a jamais été retrouvé.