Le Sénat a hypothéqué la tenue d'un Congrès sur l'ensemble de la révision constitutionnelle voulue par François Hollande après les attentats de novembre, en réservant jeudi la déchéance de nationalité aux binationaux, mais d'autres scénarios restent encore possibles.
Par 187 voix (droite et centre) contre 149 (gauche) et 7 abstentions, le Sénat à majorité de droite a voté contre l'avis du gouvernement un amendement issu de sa commission des Lois, prévoyant que la déchéance ne puisse concerner qu'un auteur de crime terroriste "disposant d'une autre nationalité que la nationalité française". Il a ainsi inscrit noir sur blanc l'interdiction de créer des apatrides, prenant le contre-pied des députés.
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"Le chemin vers l'Assemblée nationale sera difficile, j'espère pas impossible", a lâché Manuel Valls, soulignant que "le débat ne pourra se prolonger éternellement", sinon "le Parlement sera ridiculisé". "On peut tout à fait imaginer d'aller à Versailles sans la déchéance. L'article 1 et la constitutionnalisation de l'état d'urgence, ce n'est pas tout à fait rien quand même", avait fait valoir plus tôt un haut responsable socialiste, à l'unisson de plusieurs parlementaires de la majorité, après des semaines de déchirements et la démission de Christiane Taubira du gouvernement.
Selon ce responsable, pourrait être adjointe à ce volet sur l'état d'urgence la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), votée au Sénat en 2013 et qui doit être débattue à l'Assemblée nationale le 5 avril. "Si nous allons à Versailles, il faudra que la réforme adoptée par le Sénat sur le parquet voie enfin le jour", avait aussi suggéré le sénateur UDI-UC et ancien garde des Sceaux Michel Mercier, la jugeant "d'autant plus nécessaire avec la future loi sur la procédure pénale, qui renforcera les pouvoirs du parquet".
Mais le Premier ministre s'est refusé à endosser ce scénario: "cette décision d'abord ne doit pas être prise aujourd'hui" et elle "relève d'abord du président de la République". "Mais nous sommes encore loin de cette hypothèse, moi je m'y refuse", a-t-il assuré.
Après le vote solennel du Sénat sur l'ensemble du texte mardi prochain, le chef du gouvernement prévoit une rencontre entre les présidents des deux chambres, le président de la République et lui-même pour "avancer ensemble". "Je porterai ma gerbe, et puis on va voir ce qu'on en fait", a considéré le pragmatique président du Sénat Gérard Larcher. L'Assemblée et le Sénat doivent adopter un texte conforme pour aller au Congrès et entériner toute révision.
L'état d'urgence dans la Constitution
Concernant la déchéance de nationalité, les députés avaient choisi le 10 février de l'ouvrir à tous les Français pour ne pas créer de discrimination. "Nous n'avons jamais pensé qu'il y aurait (au Sénat) un vote conforme à l'issue de la première lecture", a assuré M. Valls, évoquant "une autre navette" avec l'Assemblée.
.@manuelvalls : "Nous n'avons jamais pensé qu'ici il y aurait vote conforme dès la 1ere lecture." #PJLConstit https://t.co/ffdRrG8Mks
— Senat_Info (@Senat_Info) 17 mars 2016
"La France ne saurait fabriquer d'apatrides, quelle que soit la gravité des crimes qui leur sont reprochés", a défendu le rapporteur et président de la commission des Lois Philippe Bas (LR).
De son côté, Jean-Pierre Sueur, co-signataire avec 32 autres sénateurs socialistes d'un amendement visant à s'opposer à toute déchéance, a exprimé l'espoir "qu'il y aura un Congrès, avec ce qui nous rassemble, la constitutionnalisation de l'état d'urgence, et ce qui devrait nous rassembler, l'indépendance du parquet". Comme d'autres amendements de suppression venant de tous les bancs, il est tombé sans avoir pu être soumis au vote, au grand dam de ses auteurs, dont les socialistes Bariza Khiari, David Assouline, Marie-Noëlle Lienemann et Gaëtan Gorce.
Les sénateurs avaient dans la matinée massivement voté en faveur de l'inscription de l'état d'urgence dans la Constitution. Ils l'ont amendé pour que les mesures sous ce régime d'exception soient "strictement adaptées, nécessaires et proportionnées", ont souligné la compétence de l'autorité judiciaire, et réduit de quatre à trois mois le délai maximal de prorogation de son application. Seuls 38 sénateurs, communistes (CRC), écologistes, six RDSE (à majorité PRG) et une centriste ont voté contre.