Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
MERCREDI 16 DÉCEMBRE
Sur RTL, ce matin, Pascal Praud a la bonne idée de dire : «Star Wars ? Je ne comprends rien. Je ne sais pas qui sont ces gens qui se battent à coups de néon de salle de bains. Je ne sais pas qui est la princesse Leia et Monsieur Kenobi !» Et ainsi de suite… Mon excellent confrère est-il le seul de toute la sphère médiatique à ainsi s’exprimer ? Peut-être. Car on a le droit, ce matin, à la grande révélation, dès 10 heures, dans les salles de cinéma archipleines, de ce que contient ce film, intitulé Le réveil de la force. Le labeur effectué par la société Disney (qui possède désormais la franchise Star Wars) est l’une des plus gigantesques opérations de «teasing» (to tease, ça veut dire exciter, chatouiller, développer la stratégie du désir) et de marketing de l’histoire du cinéma. On dirait qu’une partie de la planète ne s’intéresse qu’à cela : ça a coûté combien ? Ça va rapporter combien ? En produits dérivés, jouets, masques, sabres, mais aussi confiseries, pharmacie (même les dentifrices se «starwarisent»), on attend deux à cinq milliards de dollars de recettes. Essayons d’aller au-delà de ces chiffres mirifiques.
En effet, lorsqu’un film, censé s’adresser à des gamins, mais qui a capté, capturé, captivé, dès son premier épisode, il y a trente-huit ans, de jeunes adultes, puis des adultes tout court, et qui, aujourd’hui, voit ces gamins de 1977, devenus eux-mêmes des adultes, se ruer vers les salles de cinéma, lorsque, donc, un film possède cette capacité de devenir une sorte de sous-culture, qui pénètre tous les publics, c’est qu’il contient de quoi faire rêver, à la façon des odyssées qui remontent à l’Antiquité. Star Wars crée des mythes, ou plutôt les renouvelle – avec celui d’Œdipe, par exemple. Star Wars permet à des sociologues et «philosophes» d’ausculter les leçons de morale du film, ses allusions à l’actualité, aux jeux de pouvoir, aux guerres justes ou injustes, aux valeurs, à la mort et à l’amour. Il faut, peut-être, alors, cher Pascal Praud, accepter ce phénomène et tenter de le comprendre, ne serait-ce que parce que Le réveil de la force, à la fin d’une année à l’actualité sanglante, c’est la «force du réveil», celui de l’imaginaire, la bienvenue distraction.
JEUDI 17 ET VENDREDI 18 DÉCEMBRE
Eh oui !, la fin de 2015 approche. Comment caractériser cette horrible année qui, particulièrement en France, aura été celle du chagrin et de la colère, entre la tuerie à Charlie Hebdo le 7 janvier, l’Hyper Casher de la Porte de Vincennes le 9, et les 130 victimes du massacre dans les 10e et 11e arrondissements le 13 novembre ? Faudrait-il aussi parler des migrants, des élections régionales en France, de l’effarant Monsieur Trump, de Poutine, d’Abou Bakr al-Baghdadi, chef des barbares de Daesh et d’Angela Merkel, à qui le magazine Time accorde le titre de «personne de l’année» ? Le célèbre magazine justifie ce choix précisément à cause du choix de la chancelière allemande d’accueillir un million de réfugiés. Cette position lui fait perdre vingt points dans les sondages, mais elle a persisté en disant : «Wir schaffen das» («On peut le faire»). Et Time conclut : «Pour demander à son pays plus que la plupart des politiciens oseraient le faire, pour avoir incarné la morale qui est en voie d’extinction dans le monde, Angela Merkel est la personne de l’année.»
En couverture, son portrait, peint par l’artiste Colin Davidson, fait ressortir «dignité, compassion, humanité». Deux yeux bleus qui regardent le monde et s’interrogent : laquelle des deux Forces, celle du Bien ou celle du Mal, l’emportera en 2016 ? Je vous souhaite de bonnes fêtes.