L'Assemblée Nationale a prolongé de trois mois l'état d'urgence. Une sécurisation exceptionnelle du territoire partie pour durer. En attendant une solution constitutionnelle.
C’est la «réponse d’une France forte», a martelé Manuel Valls, jeudi, à l’Assemblée. La réponse d’un pays en guerre face au terrorisme. Les députés ont voté la prolongation pour trois mois de l’état d’urgence, qui avait été instauré le soir même des attentats de Paris, le 13 novembre. Ils devraient être imités vendredi par les sénateurs. Adopté dans une très large majorité (551 pour, 6 contre), le texte prévoit également un renforcement du dispositif, non sans conséquences sur la vie des Français.
La liberté restreinte pour trois mois
En pérennisant ces mesures, la France assume une situation de crise à moyen terme. «La sécurité est la première des libertés, c’est pourquoi d’autres libertés pourront être limitées», a ainsi prévenu Matignon. Les habitants vont devoir en effet s’habituer à des fouilles plus nombreuses, ou à la mise en place possible de couvre-feux. Ils pourront aussi se voir refuser l’accès à la circulation sur certains secteurs, et devront sans doute faire une croix sur un concert, une soirée ou encore un verre dans un bar, si les pouvoirs publics le décident. Ils pourraient enfin devoir accepter de passer des portiques de sécurité avant de prendre leur train, comme l’a réclamé Ségolène Royal, la ministre de l’Ecologie.
Des restrictions qui toucheront aussi Internet. Le gouvernement se donne en effet le droit de bloquer des réseaux sociaux faisant l’apologie d’actes de terrorisme. A ces limitations s’ajoutent des pouvoirs accrus pour les policiers. Ces derniers auront l’autorisation de porter leur arme même lorsqu’ils ne seront pas en service, et pourront procéder à des perquisitions administratives sans passer par l’autorité judiciaire. De même, les assignations à résidence seront élargies à toute personne qui présente des comportements pouvant constituer une menace pour la sécurité nationale. Certaines d’entre elles se verront obligées de porter un bracelet électronique.
Des mesures hors du commun saluées par l’ensemble de la classe politique. Car comme l’affirmait hier l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin sur France 2, «qui dit guerre, dit sacrifices». Et Alain Juppé d’ajouter : «Aujourd’hui, c’est la sécurité des Français qu’il faut protéger». Ce virage sécuritaire est d’ailleurs approuvé par la population, puisque 84 % des Français se disent prêts à restreindre leurs libertés pour plus de sécurité, d’après un sondage publié cette semaine par Le Figaro.
Une vision à long terme
Mais l’état d’urgence est, par définition, un outil provisoire face à une crise. «Il n’a pas vocation à s’inscrire dans la durée», explique Dominique Rousseau, professeur de droit public. Les députés l’ont prolongé pour trois mois mais en février, quels moyens la France se donnera-t-elle pour combattre la menace terroriste ? François Hollande a annoncé qu’il voulait modifier la Constitution, en y inscrivant un «régime civil d’état de crise».
«Il faudra qu’un autre régime prenne le relais et qu’il soit encadré par le droit», estime Dominique Rousseau. Car, selon le spécialiste, un régime militaire, si peu probable soit-il, serait «apocalyptique».
Les principaux repères
3 avril 1955. Le gouvernement d'Edgar Faure présente une loi qui instaure l'état d'urgence. Elle est appliquée juste après sa promulgation, pendant la guerre d'Algérie.
17 mai 1958. Après le coup d'Etat du 13 mai à Alger, le dispositif est décrété pour une période de trois mois.
23 avril 1961. Le putsch des généraux à Alger contraint le général de Gaulle à appliquer la mesure. Elle sera prorogée plusieurs fois jusqu'en mai 1963.
12 janvier 1985. La loi de 1955 est appliquée en Nouvelle-Calédonie, pour mettre fin à l’insurrection indépendantiste.
8 novembre 2005. Les émeutes enflamment les banlieues françaises. Jacques Chirac instaure l'état d'urgence pour permettre aux préfets de mettre en place des couvre-feux.