"Ici, ça reste les fonds de grenier mais on commence à se faire bouffer par les professionnels", soupire Dominique, 28 braderies de Lille au compteur, qui tente de faire perdurer "l'esprit bradeux" dans cette artère du centre-ville historique.
Le temps d'un week-end, la cité du Nord qui compte 220.000 habitants, surnommée "la ville aux dix villages", voit déferler une population supérieure à celle de Paris, avec près de 2,5 millions de visiteurs. Une affluence suscitant la convoitise des professionnels, qui vendent des ceintures ou des savons par centaines, bien loin de l'esprit originel de ce "carnaval du commerce" où l'on se débarrasse de ses vieilles affaires en taillant une bavette avec les chalands.
Arrivée dès 05H00 du matin, Dominique, médecin du travail, a installé à côté de ses amis son stand fait de livres, de jouets et de diverses babioles rue d'Angleterre, une artère charmante du Vieux-Lille, avec ses pavés et ses façades polychromes.
"L'argent on s'en fout, la braderie c'est avant tout le plaisir de faire la fête", explique-t-elle. Au milieu de ses affaires, elle vend un tee-shirt à un euro, "la cigarette tue, la pipe détend".
Sa meilleure année? "En 2007, après l'élection de Sarko, j'avais mis un tee-shirt +travaillez moins pour gagner plus+, plein de gens s'étaient arrêtés pour parler politique", se souvient cette sympathisante de gauche, en allusion au slogan phare de la campagne de Nicolas Sarkozy "travaillez plus pour gagner plus".
Avec sa recette de la journée, qui tourne autour de 200 euros, elle ira samedi soir avec ses voisins comme chaque année consommer l’indétrônable "Moules-frites-bière" dans une brasserie de la capitale des Flandres.
"Ca débarrasse!"
Sa voisine Françoise, 46 ans, veille aussi à conserver l'âme de la braderie. "Quand les gens ne sont pas sympas, on monte les prix", prévient-elle. "Certains nous disent 50 centimes c'est trop cher pour un livre ou des habits...", s'amuse-t-elle.
"Les organisateurs essayent de sectoriser les professionnels pour garder l'esprit bradeux. Le Vieux-Lille reste préservé par rapport à d'autres zones envahies par les professionnels qui ne sont plus qu'un marché géant", peste Françoise, qui définit la braderie "comme un événement qui permet de rencontrer des gens et de partir sur des conversations improbables".
ci-dessus
Originaire d'Ile-de-France, elle se souviendra toujours de sa première braderie. "On est arrivés à Lille avec le camion de déménagement le 1er septembre 2001, on ne connaissait pas la braderie. Quand on a ouvert le camion avec nos affaires, les gens pensaient qu'on les bradait..."
Non loin d'elle, Philippe Thuillier, ingénieur commercial dans l'informatique, 54 ans, est en short avec le dossard 13.339 et s'apprête à rejoindre la course des 10 km, qui précède l'ouverture "officielle" de la braderie, organisée du samedi 14H00 au dimanche 23H00.
"Chaque année, on se dit qu'on n'a plus rien à vendre et à chaque fois l'étal est plein!", se félicite M. Thuillier, la poignée franche et la tape à l'épaule facile.
Un jeune approche de l'étal. Il est intéressé par une grosse chaîne Hi-Fi avec deux encombrantes enceintes. Contre 20 euros la transaction se réalise.
"Ca c'est bien, car c'est du volume en moins, ça débarrasse!", dit-il.
"On vend plus le matin, car l'après-midi il y a plus de monde, et quand il y a trop de flux, les gens ne s'arrêtent pas".
Signe des temps, les voitures de police passent fréquemment dans la rue déjà engorgée par les acheteurs. "Peut-être est-ce la peur des attentats", s'interroge Dominique, qui laissera gratuitement ce soir sur le trottoir ses invendus, en fidèle gardienne de "l'esprit bradeux".