Sur le bitume lavé à l'eau de rose safranée, une foule impressionnante se place sous la protection du dieu Ganesh : les Tamouls ont fêté dimanche à Paris la 20e édition d'une procession haute en couleur, l'un des signes les plus visibles de la présence hindoue en France.
Tout un quartier du nord de Paris, celui de la Chapelle, se transforme chaque année en petite ville indienne à l'occasion de la fête de Ganesh, le fils de Shiva, symbole de sagesse, d'intelligence, d'éducation et de prudence, avec sa tête d'éléphant sur un corps d'enfant et son unique défense.
La procession associe une foule compacte et hétéroclite de près de 50.000 personnes, selon les organisateurs. Elle mêle hindous originaires du sud de l'Inde, du Sri Lanka et de l'océan Indien, Européens arrivés au "néo-hindouisme" par le yoga, amoureux de l'Asie du Sud, touristes, riverains ou badauds immortalisant au smartphone un festival de couleurs, de danses et de chants.
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Le défilé est rythmé par le passage des chars parés de fruits dont le premier, avec sa statut de Ganesh, le dieu le plus vénéré, est porté par des hommes au torse nu en signe de respect. De petits autels chargés d'offrandes (bananes, bâtons d'encens...) sont disposés sur les trottoirs. Des fidèles cassent des noix de coco en les jetant au sol pour chasser le mauvais oeil et l'ego. En hommage aux dieux, des femmes brandissent des pots contenant du camphre enflammé.
Le fête parisienne de Ganesh en est cette année à sa 20e édition. Son gigantisme tranche avec la relative modestie du temple Sri Manicka Vinayakar qui l'organise, logé rue Pajol. Un temple fondé il y a trente ans par des Tamouls ayant fui la guerre civile au Sri Lanka, et arrivés à Paris par la gare du Nord. D'où leur implantation à proximité immédiate.
"Little Jaffna"
"La France a redécouvert la présence hindoue sur son sol à partir des années 1980, grâce aux Tamouls justement et à leur quête de visibilité", analyse le géographe Anthony Goreau-Ponceaud, spécialiste de la mondialisation de l'hindouisme. Combien sont-ils dans l'Hexagone ? Difficile à dire faute de statistiques ethniques ou religieuses, mais le chercheur donne une fourchette large de 75.000 à 150.000 hindous, dont une majorité de Tamouls.
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Une vingtaine de temples shivaïtes ou néo-hindous sont actifs rien qu'en Ile-de-France. Quant au quartier de la Chapelle, avec ses près de 200 commerces ethniques, il est surnommé "Little Jaffna", allusion à la capitale des Tamouls sri-lankais.
"La fête de Ganesh donne lieu aussi à un tourisme diasporique : beaucoup de Tamouls d'Allemagne ou de Suisse, par exemple, viennent à Paris à ce moment-là", note l'universitaire.
"Ganesh sort du temple pour apporter la protection à la population", souligne Vellagenane Mannadin, l'un des responsables du lieu de culte. Indienne du Sud installée en France depuis 35 ans, fille de prêtre brahmane, Savithri Venkataraman "ne manque cette fête pour rien au monde, sauf quand (elle est) en Inde".
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"C'est un lieu où il y a une telle force dans la prière ! Je me dis +maintenant tu es consolée, tu as vu Ganesh+", explique-t-elle après avoir traduit du tamoul une parole jaillissant du cortège: "Louange à Ganesh, victoire à Ganesh !"
Présente dans la foule, Isabelle Legros, quadragénaire parisienne maquillée d'un bindi (point) jaune au front, n'est pas hindoue, mais a cette religion "dans (son) coeur", dit-elle. "Je vais souvent au temple le dimanche, mais le défilé, c'est une première. C'est assez folklorique par rapport à d'habitude, mais c'est sympa".
"Avec ces tissus, ces odeurs, c'est une expérience très sensorielle. Ces processions ont un aspect performatif, qui en font des spectacles qu'on peut presque vider de leur dimension religieuse, un peu comme le nouvel an chinois", estime l'anthropologue Christine Moliner, spécialiste de l'Asie du Sud. Autant culturelle que cultuelle, la fête parisienne de Ganesh n'a pas fini de séduire.