Manuel Valls dénonce des "impostures" d'Emmanuel Todd, reprenant le terme utilisé par l'intellectuel de gauche dans son ouvrage "Qui est Charlie?" pour qualifier les manifestations géantes du 11 janvier, qu'il juge "xénophobes". Le Premier ministre s'élève au passage contre "le pessimisme" de certains intellectuels.
"Je veux répondre à son analyse en pointant, pour reprendre sa terminologie, quatre impostures", écrit-il dans une tribune publiée par Le Monde jeudi. Dans son ouvrage qui suscite une vive polémique, Emmanuel Todd affirme que la majorité des 4 millions de personnes qui ont défilé à Paris et en France après les attentats contre Charlie Hebdo et une épicerie casher, l'ont fait en réalité pour des raisons "égoïstes" et "xénophobes", contre l'islam.
Première "imposture" citée par Manuel Valls: "Vouloir faire croire que le 11 janvier était une attaque contre une religion, contre l'islam". "A aucun moment! Cette manifestation fut un cri lancé, avec dignité, pour la tolérance et pour la laïcité, condition de cette tolérance", dit le Premier ministre.
"Elle fut également un cri lancé contre le djihadisme qui, au nom de la foi, d'un islam dévoyé, s'en prend à l'Etat de droit, aux valeurs démocratiques, tue des juifs, des musulmans, des chrétiens. Elle fut, enfin, un refus des amalgames", poursuit-il. "La deuxième imposture tient à la définition de la liberté d'expression", estime Manuel Valls dans sa tribune intitulée "Contre le pessimisme ambiant".
"Une tribune ridicule"
"Dans notre pays, la caricature a toujours eu un rôle essentiel dans la construction de l'opinion publique (...) Elle est le plus souvent, n'en déplaise à Emmanuel Todd, du côté des +faibles+ et des +discriminés+". "Troisième imposture", selon Manuel Valls, "Emmanuel Todd veut voir dans le 11 janvier une confiscation idéologique par certaines catégories sociales supérieures, coupables par essence".
"L'historien ne prend alors plus aucune prudence avec sa discipline, au point de devenir inquiétant: c'est la France antidreyfusarde, catholique, vichyste! N'en jetez plus", s'exaspère le Premier ministre. "La vérité", réplique Manuel Valls, "c'est que dans les cortèges, chaque citoyen comptait à égalité".
Manuel Valls voit enfin une "quatrième imposture" dans "la définition donnée de la gauche". Elle "reflète la tentation populiste en vogue qui voit dans les +élites+, un groupe fondamentalement méprisant, +mondialiste+, dont la seule motivation serait de trahir le peuple".
"Au fond, pour l'historien-démographe, devenu gardien du temple, la gauche ne vivrait bien que dans la contestation, le mythe révolutionnaire", ironise le Premier ministre, chantre d'une gauche pragmatique et gestionnaire. Manuel Valls juge enfin que "le plus inquiétant dans ses thèses (d'Emmanuel Todd), c'est qu'elles participent d'un cynisme ambiant, d'un renoncement en règle, d'un abandon en rase campagne de la part d'intellectuels qui ne croient plus en la France".
"Notre nation (...) connaît une forme de dépression, elle-même alimentée par les diagnostics réguliers d'intellectuels". "J'aimerais que plus de voix s'élèvent pour défendre notre pays, pour mieux en penser les défis, pour relever l'étendard de l'optimisme", dit-il encore.
Jeudi soir, le vice-président du FN, Florian Philippot, a déploré dans un communiqué que "depuis Charlie, la France (n'ait) jamais été aussi peu Charlie". "La liste s'allonge des intellectuels attaqués frontalement par Manuel Valls, marquant une dérive très inquiétante du pouvoir, loin très loin des valeurs de la République et de la liberté d'expression", a-t-il dénoncé.
"Après Eric Zemmour, Michel Onfray et d'autres, c'est au tour d'Emmanuel Todd d'être stigmatisé par le Premier ministre dans une tribune ridicule, inconvenante et déplacée. En s'immisçant ainsi dans des débats entre intellectuels, Manuel Valls jette une chape de plomb sur le débat public et lance des fatwas aussi dangereuses qu'injustifiées", a affirmé M. Philippot.