Transparence totale, aucune spéculation: la première banque "éthique" de France devrait bientôt voir le jour, symbole de l'engouement qui entoure la finance solidaire après la crise financière.
Proposer aux épargnants de financer un agriculteur bio, une association d'insertion ou un HLM, le tout sans avoir recours aux marchés financiers et en publiant tous les ans la liste des prêts effectivement accordés: voilà le principe de la Nef, pour "Nouvelle économie fraternelle", une société financière fondée en 1988.
"J'ai voulu donner du sens à mon argent", raconte Elodie Payen, qui a quitté la Banque Postale pour la Nef en 2009. Cette salariée dans le domaine du chauffage au bois souhaitait s'éloigner des "démarches spéculatives", et mettre son épargne en accord avec ses convictions.
En déposant son argent à la Nef, Mme Payen a pu choisir une "orientation" pour son argent - environnementale, sociale ou culturelle. On lui a aussi proposé de diminuer le montant de l'intérêt qu'elle allait recevoir pour faire baisser le taux des emprunts accordés par la Nef, et de faire don de tout ou partie de ses intérêts à une association.
En trente ans, la Nef n'a cessé de grandir, atteignant 33.466 sociétaires et 396 millions d'euros de ressources fin 2013. Mais jusqu'ici, elle ne proposait que des comptes à terme (une forme d'épargne), faute d'avoir le statut adéquat. C'est le Crédit coopératif qui complétait son offre bancaire avec des comptes courants et des livrets, tout en plaçant une partie de son capital dans les circuits financiers classiques.
Depuis le premier janvier, une modification de la règlementation européenne a permis à la Nef de devenir un "établissement de crédit spécialisé", et à condition d'obtenir l'aval du régulateur, elle pourra ouvrir ses premiers livrets fin 2014 et ses premiers comptes courants fin 2015.
- Transparence et crise financière -
Héritières du mouvement des banques coopératives au XIXe siècle, les banques "éthiques" ont fait leur apparition dans les années 1970 - avec GLS en Allemagne, Triodos en Hollande ou Banca Etica en Italie -, et leur principe de transparence a pris une résonance particulière à l'heure de la crise financière.
La finance "solidaire", dont fait partie la Nef, connait une croissance à deux chiffres depuis plusieurs années (+28% entre 2012 et 2013).
"Il y a un véritable engouement pour la finance responsable, qui vient d'une demande de responsabilité des clients", affirme Lucie Pinson, chargée de la finance à l'association les Amis de la Terre.
"Grosso modo, toutes les banques en proposent aujourd'hui", estime Eve Bénichou de Finansol, un label qui certifie depuis 1997 les produits d’épargne solidaire. Il en répertorie plus de 130 disséminés dans différents établissements, avec, en tête, le Crédit coopératif.
Une offre qui reste cependant ponctuelle, contrairement à celle de la Nef. "L'épargne de partage (qui consiste à donner ses intérêts à une association) est un geste louable qu'il faut encourager", estime Jean-Marc de Boni, président du directoire de la Nef. "Mais c'est comme donner la queue de la cerise sur le gâteau. Pour nous, le plus important, c'est le gros du gâteau", ajoute-t-il.
D'autant que si elle est en pleine croissance, la finance solidaire ne représente que 6,02 milliards d'encours, une goutte d'eau dans l'océan du patrimoine financier des Français, qui atteint 4.000 milliards d'euros.
La loi sur l'économie sociale et solidaire, entrée en vigueur au début du mois, devrait stimuler la finance alternative, surtout à travers la sensibilisation du grand public, estiment les spécialistes interrogés.
"Nous avons des gens à l'ISF et des gens au RSA", affirme M. de Boni, qui réfute l'image d'une "banque de bobos" et croit à l'essor rapide de la finance solidaire.
Mais pour Amélie Artis, maître de conférence en économie à Sciences Po Grenoble, le pouvoir d'achat reste un frein. "Il s'agit de produits d'épargne très sécurisés, néanmoins, la rémunération est plutôt faible (…). C'est un arbitrage, et ça n'est pas si évident que M. et Mme tout le monde puisse aller vers ces produits-là", estime-t-elle.
Et si le contexte est plutôt favorable après la crise de 2008, "la Nef à elle toute seule n'est pas en capacité de changer les pratiques bancaires. L'enjeu n'est pas qu'elle reste un village gaulois, mais qu'elle irrigue les évolutions du métier de banquier", selon elle.