Sur les crètes de Massiges (Marne), haut lieu des combats de 14-18 où un sol lunaire vomit à chaque pas un éclat d'obus rouillé, des passionnés réhabilitent le champ de bataille pour donner aux visiteurs un aperçu de l'enfer des tranchées.
"Il fallait faire quelque chose en mémoire de ces hommes qui ont combattu et sont morts ici, ils étaient ennemis mais ont partagé les mêmes souffrances, il faut montrer ça aux gens", explique Eric Marchal, un ancien militaire féru d'histoire qui préside l'association "La Main de Massiges", du nom de cette forteresse naturelle à la jonction de la Champagne humide et des forêts de l’Argonne dont la forme évoque une main gauche posée à plat.
En 2008, Eric Marchal et quatre autres membres fondateurs de l'association achètent avec leurs économies trois hectares du champ de bataille qui n'avaient pas été remis en culture. Depuis, ils passent leur temps libre à manier pelles et pioches pour mettre à jour le réseau de tranchées, les sapes et les postes d'observation occupés tour à tour par les troupes allemandes et françaises durant la première année de la Grande Guerre.
Après la bataille de la Marne, les Allemands s'établissent sur les hauteurs de Massiges, une position stratégique mainte fois perdue et reconquise par les belligérants entre les mois de septembre 1914 et 1915 avant de tomber définitivement aux mains des Français. Les troupes du Kaiser conserveront cependant jusqu'à l'armistice la zone nommée "tête de vipère".
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Sur ce site de terre crayeuse constellée d'éclats d'obus rouillés où ne poussent que des barbelés et autres chevaux de frise, deux immenses cratères témoignent de la violence des explosions de mines qui enterraient vivants les combattants.
En contrebas, un dédale de 600 mètres de tranchées restaurées à l’identique avec les créneaux des guetteurs enchâssés dans des sacs de ciment et les échelles en bois servant aux assauts meurtriers, plonge le visiteur dans l'effroi de la Der des Ders. Ici et là posés sur les rebords ou sur le sol des abris de fortune, des morceaux de gamelles, de chaussures, de bouteilles ou des douilles éventrées évoquent un peu plus le quotidien tragique du soldat.
- "Plus jamais ça" -
"Derrière chaque objet il y a un homme, moi je sais ce qu'est la mort d'un camarade de combat, le sifflement d'une balle ou l'explosion d'un obus, alors forcément je m'identifie un peu", remarque M. Marchal, ancien sous-officier artilleur qui a servi dans les Balkans et en Afrique.
"On trouve souvent des bouts d'os aussi, on les remise pour les archéologues de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles), mais quand on trouve un squelette entier il faut prévenir le parquet et les gendarmes", souligne l'ex-militaire au cheveux ras et aux épaules de terrassiers.
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Depuis le début des travaux financés par les seuls dons des adhérents, neuf corps, six Français et trois Allemands enterrés à la hâte sur un bord de tranchée, ont été découverts. Tous anonymes, sauf le soldat Albert Dadure exhumé en juillet 2013 par quelques bénévoles de l'association dont Théo Aubry, un étudiant en archéologie de 18 ans qui vient chaque été travailler sur le site.
"J'ai pu voir sa plaque d'identification avec quelques lettres encore lisibles, il avait trois ans de plus que moi quand il a été tué ici en février 1915, c'était terriblement émouvant", se rappelle le jeune homme.
"C'est important de préserver cette mémoire. Un siècle ce n'est pas si vieux et ici on se dit vraiment +plus jamais ça+", ajoute-t-il.
Lors d'un hommage au soldat Albert Dadure dans la nécropole de Minaucourt-le-Mesnil-lès-Hurlus en février, sa dernière lettre adressée à sa famille six jours avant sa mort avait été lue au public.
"Vivement que tout cela soit fini. Je ne sais pas comment on n'attrape pas plus de mal que cela et comment peut-on résister, mal nourri, toujours froid, même pas d'eau à boire", écrivait-il.
Selon Eric Marchal, il reste environ un an de travaux pour mettre au jour le reste des tranchées en espérant des aides des pouvoirs publics pour faire de Massiges un passage incontournable du tourisme de mémoire.