Les ONG parties civiles dans l'enquête sur le rôle de l'armée française au Rwanda en 1994 ont écrit au juge pour qu'il demande la levée totale du secret défense sur les documents relatifs à cette période, au nom de "l'exigence de vérité".
Cette demande de déclassification intervient au moment où Kigali, à l'occasion du 20e anniversaire des tueries, a de nouveau accusé la France d'avoir été un acteur du génocide. Des propos qui ont provoqué une levée de boucliers en France de la classe politique et de l'armée, et une nouvelle crispation de la relation franco-rwandaise.
Cette enquête, l'une des plus sensibles menées à Paris en lien avec le génocide, avait été lancée sur une plainte déposée en 2005 par des rescapés mettant en cause l'opération militaro-humanitaire Turquoise (2.500 hommes, fin juin à fin août 1994), au cours de laquelle l'armée française, sous mandat de l'Onu, avait été chargée de former une zone humanitaire sûre (ZHS) au Rwanda.
Soutenus par des ONG, ils ciblent notamment les massacres de la région de Bisesero (ouest), haut lieu de résistance tutsi face aux milices génocidaires. Les plaignants reprochent à des militaires français de s'être présentés le 27 juin 1994 dans cette zone, d'avoir promis aux réfugiés tutsi de revenir, de ne l'avoir fait que le 30 juin. Un délai de trois jours au cours duquel des centaines de personnes ont été massacrées.
"Rien ne vient sérieusement à l’appui de ces accusations", avait estimé en 1998 la mission parlementaire d'information sur le Rwanda, qui avait considéré que ce délai n'était pas "intentionnel".
L'enquête porte aussi sur Murambi (sud-ouest), un camp où s'étaient réfugiés de nombreux Tutsi, qui a été transformé après 1994 en mémorial du génocide. Les Français sont accusés par certains plaignants d'avoir laissé des miliciens hutu venir y chercher leurs victimes.
Cette enquête a longtemps sommeillé au Tribunal aux armées, avant de vraiment débuter une fois transférée au pôle "crimes contre l'humanité" de Paris, créé en 2012.
Plusieurs dizaines de militaires ont été entendus, dont un a été placé en juin 2013 sous le statut de témoin assisté, statut hybride entre celui de simple témoin et celui de mis en examen. Et le magistrat instructeur a effectué un déplacement au Rwanda en octobre 2013 et en février.
- "Transparence exemplaire" -
Le 28 mai, Survie, la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) et la Ligue des droits de l'Homme (LDH) ont enjoint par courrier le juge de demander la levée du secret défense et le versement à la procédure de tous les documents se rapportant à l'action de la France au Rwanda de 1990 à 1994, a indiqué à l'AFP une source proche du dossier.
Elles citent plusieurs hommes et partis politiques, dont Europe Ecologie-Les verts (EELV), qui ont récemment plaidé pour une levée totale du secret défense.
"Il s'agit d'infractions très graves", a expliqué Me Eric Plouvier, un des avocats de Survie. "L'exigence de vérité, 20 ans après les faits, doit primer sur le souci du secret".
Dans un message aux armées, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avait défendu, en avril, la "transparence exemplaire" de son administration, chiffrant à plus de 1.100 le nombre des documents déclassifiés.
Cette transparence est cependant "loin d'être totale", affirment les ONG qui citent de nombreux avis défavorables de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN).
Dans un communiqué en janvier, le général Jean-Claude Lafourcade, commandant de la force Turquoise, avait jugé "indignes" et "inacceptables" les accusations visant cette opération.
En avril, le président rwandais, Paul Kagame, avait accusé la France d'avoir participé à "la préparation politique du génocide" et "à son exécution".
Paris a toujours catégoriquement démenti toute implication dans les massacres qui ont fait, selon l'Onu, environ 800.000 morts en trois mois principalement au sein de la minorité tutsi mais aussi des Hutu modérés.