Le paysage français des mosquées se structure progressivement, avec plusieurs dizaines de projets en cours, devant lesquels les élus locaux se montrent souvent moins réticents que par le passé. Mais des obstacles persistent, moins politiques que financiers.
"L'invasion des mosquées", titrait un hebdomadaire il y a quelques semaines. Très polémique, l'affirmation ne résiste pas à l'examen des chiffres: si on compte aujourd'hui un millier de lieux de culte musulmans de plus qu'il y a dix ans, ils seraient entre 2.300 et 3.000 en 2014 selon les sources, y compris les petites salles de prière. Moins d'une centaine de ces lieux mesurent plus de 1.000 mètres carrés, et une trentaine seulement sont coiffés d'un minaret, toujours muet. Loin des quelque 100.000 édifices catholiques, dont environ 45.000 églises paroissiales.
"Les constructions actuelles ne font que résorber un déficit criant, avec des bâtiments plus grands. Mais si des lieux apparaissent, d'autres disparaissent", explique à l'AFP Mohammed Moussaoui, président de l'Union des mosquées de France (UMF), qui dit fédérer 500 de ces édifices.
"Beaucoup de musulmans ne vont pas à la mosquée pour le prêche du vendredi parce qu'ils savent qu'ils n'y trouveront pas de place", ajoute cet ancien président du Conseil français du culte musulman (CFCM), qui estime à 20% des quelque 5 millions de musulmans de France, soit un million, le nombre de fidèles se rendant dans un lieu de culte ce jour-là.
- Victimes du contexte politique -
Combien y a-t-il de projets en cours? Là encore, les chiffres diffèrent, notamment si l'on considère les seules constructions nouvelles ou si l'on englobe les extensions et réhabilitations: le site internet "Trouve ta mosquée" en compte plus de 150, le journal en ligne "Des dômes et des minarets" 300. Certains font les frais du contexte politique, comme à Fréjus (Var), où le projet de mosquée lancé par la précédente municipalité UMP et soutenu par la gauche a été stoppé par la mairie FN, comme elle l'avait promis pendant la campagne. Dans une autre ville tenue depuis mars par le Front national, Mantes-la-Ville (Yvelines), le maire ne s'est pas rendu le 15 mai à la signature de la promesse de vente de l'ancienne trésorerie municipale, dénonçant un "mauvais projet" de lieu de culte plombé par les "problèmes de stationnement et de circulation", "l'hostilité des riverains" ou encore "l'absence de concertation". A Montfermeil (Seine-Saint-Denis) encore, la question de la mosquée oppose devant la justice le maire, proche de Christine Boutin, et l'association gestionnaire du lieu.
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Mais les blocages politiques, fussent-ils très médiatisés dans un contexte électoral, ne sont pas les freins principaux à la construction des mosquées.
"Les élus ont commencé à comprendre que l'islam fait partie du paysage français et qu'il est nécessaire de permettre aux musulmans de pratiquer leur religion dans la dignité, et d'éviter le danger des caves qui ont amené au radicalisme", confie Abdallah Zekri, délégué chargé des régions de la Grande mosquée de Paris.
"La situation aujourd'hui est meilleure qu'il y a quelques années, quand un droit de préemption d'une mairie venait régulièrement contrecarrer un projet", abonde Charafeddine Mouslim, qui pilote le projet de mosquée de Bordeaux. "Aujourd'hui les municipalités n'en usent plus, ou y regardent à deux fois. Cela tient aussi au fait que beaucoup de nos communautés ont su établir des relations de dialogue" avec les autorités locales, assure-t-il.
- 'Bénédiction' du bail emphytéotique -
En outre, souligne Bernard Godard, du Bureau des cultes au ministère de l'Intérieur, la possibilité offerte depuis 2006 aux collectivités locales de recourir au bail emphytéotique pour la construction d'édifices religieux, et ainsi d'affecter des terrains leur appartenant aux associations musulmanes pour leur permettre d'exercer leur culte, a été "une bénédiction" pour les maires.
"Avant, la loi ne leur permettait pas de céder un terrain pour la construction d'une mosquée, ou alors ils étaient contraints de le faire au prix du marché, c'était très difficile. Le bail emphytéotique leur a donné plus de sécurité. Les maires sont beaucoup plus allants et volontaires aujourd'hui", constate ce spécialiste de l'islam.
L'argent reste cependant la pierre d'achoppement de nombreux projets. A Strasbourg, une grande mosquée a vu le jour en 2012, moyennant un investissement de 10,5 millions d'euros abondé par trois Etats étrangers (Maroc, Arabie saoudite et Koweït) et les collectivités alsaciennes, à la faveur du droit local. Mais Strasbourg est "l'exception qui confirme la règle", relève Bernard Godard. Ailleurs, les projets ne doivent souvent leur salut qu'à un mix complexe entre mécénat étranger (venant de personnes plutôt que des pays eux-mêmes) et dons des fidèles. Et le contexte troublé du monde arabo-musulman n'aide pas. "J'ai multiplié les voyages dans 14 pays. Nous essayons de trouver celui dont le versement de fonds permettra de déclencher l'apport des autres", raconte l'imam Abderrahman Ghoul, président de l'association La Mosquée de Marseille, un chantier à 23 millions d'euros qui est encore loin de prendre forme.
Des projets se font aussi attendre notamment dans le Grand Lyon, à Toulouse ou encore dans le Nord-Pas-de-Calais où un responsable musulman évoque "une dizaine de chantiers" en souffrance. Sans oublier Paris, où le coût du foncier est clairement en cause.
Certains projets seraient-ils surdimensionnés, donc trop coûteux à financer ? Abdallah Zekri n'est pas loin de le penser, qui se dit "contre la construction de mosquées-cathédrales", préférant "des lieux de proximité permettant aux musulmans de ne pas avoir à traverser la ville pour prier". Mais il y a, pour ce responsable du CFCM, motif à se réjouir du peu de tensions que suscitent nombre de constructions. "Même la presse en parle moins..." note-t-il.